Les Musiciens du Louvre soufflent leurs 40 bougies en grande pompe à Versailles
Fondés en 1982 par le jeune bassoniste Marc Minkowski, l’ensemble s'est imposé depuis quatre décennies comme l’un des fers de lance du renouveau de la musique baroque dans l’hexagone et à l’étranger.
Après avoir célébré Rameau pour souffler leurs vingt premières bougies, puis Mozart pour couronner le cap de la trentaine, Marc Minkowski voulait pour cette nouvelle soirée de gala mettre à l’honneur deux compositeurs phares de la discographie et des tournées de son ensemble, deux Allemands émigrés en terre étrangère, l’un en Angleterre et l’autre en France, deux incontournables maîtres du baroque finissant et du pré-clacissisme naissant : Haendel et Gluck (dont l'Opéra Royal présente le surlendemain le rarissime Écho et Narcisse dans le même décor de marbre).
Dès l’entrée orchestrale sur l’Arrivée de la Reine de Saba extraite de Solomon, la sonorité propre aux Musiciens du Louvre est reconnaissable, cette pâte vif-argent à la fois fine, pétillante et légère, mais toujours tenue avec prestance et noblesse. L’homogénéité des cordes, la souplesse des bois s’imposent d’emblée dans le largo du Concerto grosso opus 3 (Haendel toujours) un peu plus tard dans le programme, ou offrent une sensualité émouvante dans la Danse des Ombres heureuses tirée de l’Orphée et Eurydice de Gluck. Mais les voix sont surtout à l’honneur dans ce programme. Minkowski l’énonce clairement dans son discours de remerciements final : rien n’aurait pu être accompli à travers tout ce chemin parcouru sans les chanteurs. Et il s’est entouré pour illustrer cet hommage d’un cast impressionnant : Marie Perbost propose, avec une musicalité toujours très précise et des récitatifs crédibles, un duo très bien mené en compagnie du contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian, qui fait preuve quant à lui d’une belle égalité des registres, d’un haut médium très riche avec des aigus bien ancrés, d’une grande agilité dans les vocalises, notamment dans le "Pena tiranna" extrait d’Amadigi. Laurent Naouri rappelle par sa prestation qu'il est un compagnon de route de l’ensemble (et un soliste) de très longue date. La présence et l’investissement dramatique restent évidents mais la trame vocale semble un peu usée ce soir (le médium et les graves sonnent mais les aigus sont tendus et les vocalises hasardeuses). Gaëlle Arquez déploie son mezzo long et ample avec une aisance certaine, des graves toujours plus ronds et généreux, et un vibrato très présent : son Armide emporte l’adhésion malgré une diction parfois un peu sacrifiée au profit de la ligne de chant.
Stanislas de Barbeyrac impressionne dans Armide comme dans Samson, par un volume et des résonances graves très éloignées de la voix plus légère de ses débuts. Le médium s’est considérablement étoffé et l’ancrage également, diffusant ainsi une pâte vocale riche et barytonnante, avec parfois quelques sons engorgés et une ligne baroque un peu rudoyée par tant de puissance. Florian Sempey non plus n’est pas avare de largesse vocale, mais avec une musicalité et une théâtralité toujours présentes et bien dosées. Son air d’Oreste, par sa fureur expressive et la qualité de sa ligne vocale, toujours sur le souffle, jamais crié, est l’un des moments forts de la soirée. Alexandre Duhamel (qui était cet été de l'aventure avec cet ensemble pour Mozart en Israël) déploie sous les ors de l’Opéra Royal un timbre très concentré et une puissance remarquée, laissant les accents de fureur de Thoas faire frissonner le public envouté (dommage que l’air d’Agamemnon pour Iphigénie en Aulide soit moins vivant, avec des vocalises moins savamment élaborées).
Caroline Jestaedt, après une entrée un peu timide dans le récitatif de Polinesso, trouve ses marques et fait pétiller sa voix capiteuse grâce à un soutien sans faille dans le "Tornami a vagheggiar", offrant une inventivité louable dans le da capo (reprise), agrémenté d’une cadence finale audacieuse et fort bien exécutée. Aude Extrémo n’a aucune difficulté à remplir le moindre recoin de la salle de l’immensité de son legato. Tant par sa présence que par son timbre, ses deux interventions, et notamment "Divinités du Styx", laissent l’auditeur stupéfait par l’ampleur de son médium, l’étoffe de ses aigus et la maîtrise de son phrasé (de quoi donner envie de l’entendre en Nourrice chez Strauss ou en Erda chez Wagner). Marina Viotti offre en deux airs (Alceste et Ariodante) une leçon de chant impeccable réunissant ligne solide, sophistication du phrasé, éventail de nuances, pianissimi dans l’aigu, équilibre des registres. Magdalena Kožená réunit son expérience et ses qualités d’actrice dans la construction des différents plans de chaque aria, avec des prises de risques audacieuses, la musicalité de ses cadences, son adéquation stylistique de chaque instant. Les guirlandes descendantes et vertigineuses dans les variations des da capo recueillent une ovation méritée.
Le Chœur de chambre de Namur, peu sollicité dans ce programme, reste précis et investi dans chacune de ses interventions, couronnant le programme avec Zadok the Priest (en hommage à Elisabeth II), assumé, construit et d’un Allelujah final étincelant.
Marc Minkowski dirige le tout avec une énergie débordante et une fougue toute juvénile, sautillant, dansant avec ses chanteurs, mais avec une baguette toujours rigoureuse dans les effets, offrant une palette de nuances très contrastées. Cet anniversaire est salué par une retentissante acclamation du public de l’Opéra Royal.