La Fille du Régiment et du bon vieux temps à La Fenice
L’histoire est ici racontée comme le souvenir d’une grand-mère centenaire infirmière pendant la guerre, mais dans une ambiance de légèreté et de bons souvenirs, faisant presque de ce vif opéra-comique une comédie musicale. Les choristes, préparés par Alfonso Caiani, renforcent notamment cette dimension, par leur grande présence scénique entre courses et danses (entraînant des décalages rythmiques mais sans déranger l’ambiance joyeuse).
Une dame âgée attendant la visite de sa famille est montrée en ouverture de l’opéra, dans une vidéo en noir et blanc de Guido Salsilli (procédé qui ne sera plus utilisé, sauf pour une image finale, toujours de vieille femme, qui fixe le public). Dans sa chambre, une armoire contient les objets d'une vie de souvenirs, comme un autel. Ces objets prennent des dimensions gigantesques et kitsch pour devenir la scénographie du plateau, comme les personnages prennent vie, tels des souvenirs.
Une pendule à coucou, une statue de la Madone, un abat-jour, des énormes boîtes de médicaments au premier acte cèdent la place à un immense carillon dont Marie est la danseuse, parmi d’inévitables portraits sépia. Le contraste est d’autant plus vif avec les robes et uniformes traditionnels du Tyrol, face à des robes de soirées plastifiées, suraccentuant là encore la dimension kitsch et l’effet de distanciation de la mise en scène.
Marie est Maria Grazia Schiavo, la soprano italienne s'en faisant la pétillante interprète avec un vocalisme soigné et de caractère (dépassant la dimension du seul "garçon manqué" par une féminité qui émerge progressivement). Le timbre s’adapte à l’évolution du caractère en s’appuyant sur une ligne vocale fleurie. Comique en duos, elle est sensible dans l'introspection.
Le ténor américain John Osborn est un Tonio frais et exubérant, aisé dans les aigus. L’intonation et le rythme se font constants, même dans les airs les plus difficiles. Les qualités singulières de la voix déploient des timbres et un phrasé sinueux et curviligne, scintillant dans le fameux air aux contre-ut “Ah ! mes amis” mais aussi lyrique dans l'air romantique “Pour me rapprocher de Marie”.
Le baryton-basse Armando Noguera offre son chant fluide au sergent Sulpice à la fois militaire et "noble père". Affable et affectueux, son caractère et sa présence, seyants pour un caporal, s’appuient sur des sonorités graves et soutenues.
La Marquise de Berkenfield de Natascha Petrinsky voyage aux confins de la comédie, malgré sa voix expressive dans des accents amers, au timbre opaque (évoquant plutôt la mémoire trouble).
Guillaume Andrieux, Hortensius au baryton agile et brillant accompagne les événements avec emphase et sympathie mais précision.
Marisa Laurito interprète la Duchesse Krakenthorp dans une veine comique, celle d’une infirmière prête à dispenser des piqûres à tout le monde. Accompagnée d'un accordéon, elle chante "arrivano i nostri " - tube des années 1950 de Clara Jaione pleinement dans le style de la mise en scène.
Les seconds rôles sont impeccables : Dionigi d'Ostuni (un paysan) aux interventions pétillantes, précises et douces, Matteo Ferrara (un caporal) à la voix structurée sur un vibrato expressif et d’allure. Enfin, Federico Vazzola (notaire), seul acteur de l'histoire, tient son rôle et sa position parmi les autres interprètes avec une juste tension.
L’orchestre se montre en difficulté pour relever le défi posé par la partition : celui d’allier des musiques militaires, ici vives, brillantes et très articulées mais par trop envahissantes sur le plan sonore pour dialoguer avec les parties romancées et les airs sentimentaux un peu trop retenus. L’amplitude de la direction du chef Stefano Ranzani entraîne là encore un très grand panel de nuances, mais jusqu’aux excès de volume ou de pianissimo. Les solos déploient toutefois la qualité de rares moments à la pointe mélancolique (des archets notamment).
Le public enthousiaste devant ce brillant opéra-comique, lance ses bravi à la compagnie.