Cosmopolitisme baroque du Portugal aux Concerts d'automne à Tours
L’équivalent portugais du Roi Soleil, Jean V le Magnanime, faisait en effet venir des compositeurs italiens à sa cour pour y faire résonner leurs musiques (et même assurer l'apprentissage de la musique : Domenico Scarlatti forma ainsi en personne la Princesse Marie-Barbara, future reine d'Espagne).
Le programme du soir, scindé en deux, comporte tout d’abord les chansons de la cour portugaise ("serenate" et "oratori" pour le roi) en italien tout comme les extraits d’Antigono (Antonio Maria Mazzoni), de La Morte d’Abel (Pedro Antonio Avondano), de Perseo (João de Sousa Carvalho) et de L'isola disabitata (Davide Perez).
La deuxième partie du spectacle est donc en lien avec la première mais contrastant, le lyrisme baroque et classique résonnant ce soir avec les chants du peuple (notamment une pépite assez méconnue du grand public : un ensemble de modinhas ou “petites chansons populaires”, terme issu de moda - mode, utilisé il y a trois cent ans au Brésil où se réfugiera d'ailleurs la couronne portugaise face à l'invasion napoléonienne).
Le chef Massimo Mazzeo est aphone ce soir, ce qui ne l'empêche pas diriger et même de chuchoter très fort en portugais pour décrire le programme au préalable. Du début à la fin, il maîtrise son orchestre du bout de sa baguette comme une extension de son corps (indispensable pour insuffler les rythmes dansants), avec un grand sourire qu’il communique aux solistes comme au public. Du piano au forte, il module les nuances instrumentales pour laisser place aux chanteurs en toute complémentarité.
L’Ensemble Divino Sospiro porte bien son nom en cette soirée, proposant des legati à l’image de véritables soupirs, dès l’ouverture. Même des violonistes esquissent quelques ébauches de pas de danses à leurs pupitres tant l’ambiance est festive. Aussi bien à l’aise dans l’exercice du baroque que celui du mélange des genres (quasiment Bossa Nova dans Lá no largo da Sé), l’orchestre ne masque à aucun moment son enthousiasme et résonne pleinement dans la salle du Grand Théâtre.
De ses mélismes exécutés avec finesse, en particulier avec La Morte d’Abel, Ana Quintans emporte le public avec elle dans ce monde binational du baroque portugais/italien. Sa légère retenue au début du récital n’est en réalité qu’une esquisse de ce qu’elle proposera par la suite. Sa voix chaude de coffre s’élargit au fur et à mesure du concert, et elle contraste à souhait avec celle du contre-ténor Bruno De Sá. La soprano féminine étant portugaise et maniant les langues latines avec aise, elle offre une performance lyrique teintée de dramatique lorsqu’il le faut, grâce à son souffle maîtrisé portant de belles longueurs de phrases.
Le contre-ténor brésilien, de sa voix puissante et éclatante, éblouit instantanément l'auditoire. Ses vocalises ont une agilité évidente, une aisance et articulation remarquées dans sa langue natale tout autant que dans celle de Dante. Dès la fin de son premier air, c’est l’ovation générale. “Il est assez exceptionnel” s'exclament des spectateurs à l’entracte. De sa grande finesse et avec la légèreté vocale d'un rossignol dans ses trilles, il demeure aussi tout à fait complémentaire en duo. Le timbre est sensuel et clair grâce à sa maîtrise de la voix de tête, captivant toute la salle à chaque moment du récital. Toujours en place rythmiquement dans l’épreuve de la “bossa nova baroque”, il déploie l'agilité jusqu'aux résonances et même par une danse avec une rose à la bouche durant le bis.
Ce moment réunit les artistes dans une ovation méritée.