Airs d'opéra aux féminins à la Philharmonie de Paris
Au delà de ce titre neutre, le concert ambitieux se veut masculin et très féminin, avec des objectifs déclinés dans tous les genres dans le programme de salle, en même temps que les morceaux : "Héroïnes d’opéra et compositeurs", "Raviver l’hier et faire sonner l’aujourd’hui" et "Héros d’opéra et compositrices". Une heure et demie de concert suffit à réunir quelques airs d’opéras, quatre duos et quatre pièces symphoniques.
L’orchestre est porté par la tendre sonorité du pupitre de violons et l'efficacité de sa direction précise et alerte. Debora Waldman soutient avec énergie une virtuosité débridée dans des crescendi rossiniens, tout en sachant rester constamment attentive aux chanteuses. L’orchestre sait aussi se faire intimiste, en pizzicati (pincés) laissant tout l’espace aux palpitations vocales, avec également des staccati (piqués), subtils élans du cœur.
Karine Deshayes déploie sa voix claire et projetée, avec un medium et une entrée d’aigu à la matière somptueuse (même si les suraigus sont eux parfois un peu raidis, ce qui se comprend tout à fait pour une mezzo s'aventurant dans des parties de soprano, dans les duos notamment). La voix reste présente tout du long, lors de ce programme, avec de surcroît un souci de diction et un engagement au-delà de la vocaliste (mais non moins éblouissant avec Il pirata).
Delphine Haidan possède une voix rare de mezzo grave, voix nécessaire en théorie pour assumer efficacement les ouvrages du répertoire de la fin du 18ème et du début du 19ème siècles, dans lesquels les contraltos femmes incarnaient les rôles de jeunes premiers (quand les castrats disparaissaient et avant que les ténors ne prennent le devant de la scène). La voix est sombre à souhait, avec une certaine chaleur dans le medium et l’aigu. La prononciation est parfois un peu pâteuse et le format vocal demanderait à se déployer davantage dans cette acoustique (elle est souvent couverte, surtout dans le medium et le grave). Ce n'est toutefois pas le cas dans le déchirant "J’ai perdu mon Eurydice" (dans la version revue par Berlioz pour Pauline Viardot).
Si l'alliage des deux timbres est complémentaire et riche à souhait comme attendu, la surprise et l’audace de ce programme (préparé avec le Palazzetto Bru Zane) reposent sur le désir de remettre en lumière des compositrices du 19ème siècle. Pauline Viardot tout d’abord, présente virtuellement à travers l’Orphée de Gluck adapté pour elle par Berlioz, puis dans la scène des Troyens, du même, œuvre qu’elle avait défendue en son temps. Elle est ensuite présente comme compositrice avec la belle orchestration du dernier Sorcier, et une mélodie de Géorgie. L’orchestre propose également l'Ouverture de Fausto de Louise Bertin ainsi que Mazeppa (Prélude et Danse ukrainienne) composé par Clémence de Grandval (1828-1907), de toute beauté, avec une écriture extrêmement raffinée qui permet à l’orchestre de montrer toute sa palette expressive.
Le public applaudit franchement ce concert conjugué aux féminins.
Après une superbe première soirée à l'Opéra Grand Avignon hier, l'Onap dirigé par Debora Waldman et les deux mezzo-sopranos Karine Deshayes et Delphine Haidan seront en concert demain soir à la @philharmonie de Paris. Réservez vos places https://t.co/2Qxox8du9G pic.twitter.com/J8DMJuAwxQ
— Orchestre national Avignon-Provence (@OrchAvignonPvce) 13 octobre 2022