Sacre royal et musical de Louis XIV à Versailles
Le 7 juin 1654, la ville de Reims est en pleine effervescence, accueillant en sa Cathédrale le sacre du « plus grand roi du monde », Louis Dieudonné de Bourbon. Si l’on sait que le cérémonial de cet évènement majeur était impressionnant et extrêmement maîtrisé, le détail des musiques qui accompagnèrent ce sacre nous échappe. Néanmoins, à partir de témoignages et de diverses ressources, le chef-claveciniste Sébastien Daucé et le musicologue Thomas Leconte du Centre de Musique Baroque de Versailles en proposent une reconstitution, très sérieuse bien que semi-imaginaire. Des œuvres d’Etienne Moulinié côtoient ainsi celles de Charles d’Helfer, de Francesco Cavalli et de nombreux anonymes, pièces extraites des manuscrits de Tours ou Deslauriers ou du plain chant grégorien. Le tout est structuré en sept parties dont les titres sont annoncés avec force et solennité par les jeunes Pages du Centre de Musique Baroque de Versailles.
Pour replonger l’auditeur dans l’extraordinaire de ce moment, tout en privilégiant toutefois la musique au spectacle, Mickaël Phelippeau et Marcela Santander conçurent une mise en espace très précise (appréciée en la Chapelle de la Trinité de Lyon). Pour le concert de cet après-midi, en la Chapelle Royale du Château de Versailles, la mise en espace est légèrement adaptée par Rosabel Huguet et Flora Gaudin. De l’entrée processionnelle des musiciens à cordes et des chanteurs, depuis la porte d’entrée de la chapelle, avec la Pavane pour le mariage de Louis XIII, puis des « hauts instruments » avec la Pavane pour le mariage de Monsieur de Vandome, jusqu’au final majestueux Gaudete et exsultate, le public est plongé dans la musique. Les déplacements des musiciens et des chanteurs sont nombreux, enveloppant tantôt l’auditeur de sons, deux petites estrades permettant à des musiciens d’être sur les côtés du centre de la nef, ou attirant soudainement son attention derrière lui, dans les hauteurs de la tribune royale. La mise en espace propose ainsi une grande variété d’écoutes, de contrastes de timbres avec notamment l’alternance spatialisée des instruments à vent avec ceux à cordes. Cependant, grâce à une préparation particulièrement étudiée et rigoureuse, jamais ces déplacements ne gênent l’appréciation de la musique, qui reste au cœur de ce concert.
La reconstitution peut compter sur la vigilance extrême de Sébastien Daucé qui, grâce à une oreille vive et active, analyse l’acoustique entière de la chapelle en temps réel pour diriger avec intelligence son ensemble spatialisé. Sa direction est précise, toujours aidée d’un petit critérium qui fait sa signature. Son visage invite constamment ses chanteurs à une diction des plus incisives et ses musiciens le regardent avec grande attention (mais lui sourient aussi volontiers), communiquant ainsi une complicité et un réel plaisir malgré la concentration. Le chef sait aussi se mettre en retrait, laissant certains chanteurs se diriger par eux-mêmes pour les chants grégoriens ou diriger les Pages.
L’acoustique de la Chapelle royale est généreuse et n’empêche pas quelques rares micro-décalages entre ensembles espacés, ni une légère baisse de tonalité après une antienne chantée a cappella depuis la tribune. Pour autant, les Pages du Centre de musique baroque de Versailles, préparés par Fabien Armengaud, se montrent d’une parfaite attention, maîtrisant leurs chants et leurs déplacements, offrant ainsi des interprétations aux couleurs pures et célestes.
L’Orchestre et le Chœur de l’Ensemble Correspondances font preuve d’un grand soin envers la précision et les équilibres. Les ensembles ne manquent jamais de majesté et quelques interventions en effectifs plus réduits ou même en solo offrent des temps plus recueillis. La tendre prière Virgo Dei Genitrix de la soprano Perrine Devillers est soutenue par son vibrato rond et des aigus tout aussi souples. Le baryton René Ramos Premier convainc de sa voix sûre et communicative lors de ses quelques interventions, notamment le Sacris solemniis de Jean Veillot. La soprano Caroline Weynants intervient à plusieurs reprises, proposant des interprétations subtiles mais, étonnamment, malgré ses aigus lumineux, ses intentions et le soin de sa diction, la conduite de ses phrasés et l’homogénéité de son timbre semblent comme incertaines. L’assurance de Renaud Bres donne le ton aux antiennes, les colorant déjà d’une sobriété vivante, qui n’a rien de monotone.
Le public enchanté emplit à son tour la Chapelle royale de ses applaudissements, une bonne partie se levant même pour saluer le travail rigoureux et cette interprétation majestueuse en ce lieu si prestigieux, aussi lumineux que le règne alors annoncé du “Roi Soleil”.