La Tosca au Met, Rome à New York
Pour cette production, le Metropolitan Opera House de New York a choisi la fidélité historique. Sur scène, pas de grandes innovations, mais un soin extrême porté aux décors et aux objets. Cette Tosca brille définitivement par son élégance et le résultat marque par la finesse des choix visuels, avec en premier lieu les décors : l’église est transportée de Rome à New York, avec la magie scénique de fresques du Palais Farnese.
L'écrin est offert aux voix par cette mise en scène de David McVicar, ainsi que par cette interprétation de la musique de Puccini. Les subtilités de la partition sont ici mises en avant et travaillées avec la délicatesse d'une grande douceur par le chef Carlo Rizzi. Il n’hésite pas à moduler les équilibres pour laisser plus de place aux chanteurs et aux solistes instrumentaux, tout en gardant une grande cohérence esthétique dans sa direction, mêlant onctuosité des grands ensembles et finesse de l’interprétation. Les pupitres de l’orchestre, tous à l’honneur, lui sont d’une grande aide, en n’hésitant pas à briller dans les solos, pour ensuite jouer volontiers avec les voix.
Le tableau est rendu complet avec aussi des moments de jeu plus légers et surtout une présence vériste (réalisme italien) des voix, du parlando jusqu'au molto lirico. Seul bémol ici, une diction un petit peu trop lâche dans les phrases longues, mais qui colle cependant à l’esprit de charivari de la foule se retrouvant à Sant'Andrea. Le sacristain (Patrick Carfizzi) apporte une légèreté bienvenue face au tragique de l’opéra, en n’hésitant pas à chanter avec un peu de souffle. Le baryton-basse tire aussi sur sa voix de fausset pour multiplier les couleurs mais son jeu théâtral lui fait perdre en puissance, et ses interventions sonnent un peu sec.
Le Baron Scarpia est interprété par Luca Salsi, en méchant convaincu, et Némésis. Le baryton privilégie ici une voix un peu nasale, avec un vibrato quasi absent, qui lui permet de proposer en même temps des aigus riches en résonances. Si la voix presque parlée du chanteur prend ici une place importante, prenant parfois la place du médium résonnant, son talent s'exprime pleinement dans les extrêmes et notamment son assise grave.
Le peintre Mario Cavaradossi est incarné par Michael Fabiano avec discrétion. Son beau timbre, tout en intériorité, a de quoi se déployer pour en faire le héros tragique de l’opéra, mais le ténor préfère une interprétation fine. Ses légères ornementations, notamment dans ses premières interventions, ne lui permettent cependant pas d’acquérir une véritable présence scénique et le font presque apparaître comme un personnage faible ou au moins affaibli. Les moments plus intenses perdent un peu de justesse et de sculpture vocale, mais traduisent les pleurs de l’homme condamné.
À l’inverse, les rôles secondaires donnent du caractère à la production, en particulier Rodell Rosel en Spoletta, qui s’empare de la scène même dans ses brèves interventions. Particulièrement dynamique et agile dans ses ornementations, ce ténor choisit ici de miser sur la vigueur de ses aigus, et une maîtrise constante des tenues, notamment face à des voix comme celle de Christopher Job en bourreau Sciarrone, baryton-basse assuré et ample, tout en puissance. Son large vibrato accentue ici tout l’aspect dramatique du rôle.
Plus discret mais restant dans le même esprit d'une interprétation campée, Paul Corona en gardien de prison assure avec efficacité ses parties solides et puissantes (presque davantage en voix parlée, mais avec une intention de son chaud et affirmé). Kevin Short en Angelotti est un petit peu faible, les envolées de ce baryton-basse manquent de liberté et restant dans un registre très sobre.
Le berger est chanté par la soprano Davida Dayle, en écho de voix et d'enfant, en fond sonore malgré de belles résonances vers les graves. Le chœur met à profit ses interventions pour confirmer la grande subtilité de jeux mélodiques tout en simplicité entre les voix, en particulier pour soutenir Tosca hors scène, les basses assurant une belle amplitude sonore, tandis que les sopranos se laissent aller à des harmonies qui frôlent le timbre des chœurs d’enfants. Le chœur fait ici écho au public enthousiaste, qui salue les solos et lance de fréquents « bravo », et « brava » pour cette belle Tosca.
La grande star de cette production est en effet bel(le) et bien Tosca, interprétée par Aleksandra Kurzak. Sans choisir la voie de la tragédienne et du dramatisme, elle choisit la voix de soprano léger, presque sans vibrato, donnant à Tosca la fraîcheur d’une jeune première. Cette voix présente une grande douceur et souplesse dans chacune de ses interventions, déployant par là son personnage et une signature vocale. Sa technique privilégiant une chaleur et une rondeur dans les attaques, même vives, la chanteuse s'emporte vers la fin de l’opéra jusqu'à de légers craquèlements mais traduisant ici les pleurs par un timbre rauque, signe de tempérament.