Retour aux sources de La Monnaie avec Elsa Dreisig et Kazushi Ono
À la tête de l’Orchestre, l’ancien directeur musical de La Monnaie (de 2002 à 2008), Kazushi Ono revient mettre en lumière trois événements du passé, trois créations dévoilées dans cette institution : Hérodiade de Jules Massenet en 1881, la version française de la Salomé de Strauss en 1907, et enfin Le Joueur de Prokofiev en 1929 (le concert de ce soir propose des extraits des deux premiers opéras, tandis que c'est la Symphonie n°5 qui rend hommage au troisième compositeur).
Ces trois temps musicaux avec trois points de vue stylistiques différents résonnent pourtant les uns avec les autres comme les mythes de Salomé et de sa mère Hérodiade. D'autant qu'Elsa Dreisig chante deux fois Salomé en français (avec l'air de Salomé “Celui dont la parole efface toute peine…il est doux, il est bon” dans l'opéra Hérodiade). Ces deux femmes en unes ont pourtant un caractère bien différent (entre l'inspiration chez Flaubert pour Massenet et chez Oscar Wilde pour Strauss), mais trouvent en la soliste Elsa Dreisig une interprétation variée et incarnée.
Le romantisme franco-français s'offre avec une sensibilité aérienne, un phrasé élégamment roulé, mais très dessiné notamment dans l'aigu limpide et direct. Ce dessin fidèle à l’héroïne de Flaubert vient s’opposer à la Salomé de Wilde, piquante, sensuelle, capiteuse et infiniment moderne (résonnant pleinement quoique dans une autre langue avec sa Salomé marquante au récent Festival d'Aix-en-Provence).
L’Orchestre entonnant la Danse de Salomé de Strauss en molto presto e furioso, Elsa Dreisig semble emportée, la voix pleine de verve et de puissance. Les aigus, plus chauds, plus pleins et riches déferlent avec une vélocité maitrisée. La soliste s’impose magistrale face à la phalange, dessinant une figure féminine redoutable, psychologiquement complexe. Cette aria rappelle combien elle définit le personnage par sa rythmique mélodique caractéristique, en passion, désir et vengeance. L’éloquence du propos trouve en la chanteuse une interprète habitée par une force de colère mêlée à la fragilité d’un désespoir gémissant. Une performance remarquée, ovationnée par un public très enthousiaste.
Tout aussi chromatique, l’Orchestre Symphonique de La Monnaie trouve en Kazushi Ono une direction souple, ample et une précision piquée. Le chef d’orchestre japonais marque par une autorité et une magnitude musicale redoutable, maitrisant les plages d’une musique occidentale tout autant qu’orientale en s’approchant d’un Strauss plus arabisant. Musiques renouvelées, les compositeurs du passé retrouvent en l’orchestre un interprète organique et puissant, moderne.