Hypnos, soirée hypnotisante à l’Opéra de Lille
Ce Festival a pour objectif de rassembler différentes propositions autour d’un thème bien particulier : le sommeil. Outre les représentations de Semele, huit concerts sont également offerts, et donc, parmi eux, Hypnos avec l’Ensemble vocal et instrumental La Tempête, guidé (ainsi que les spectateurs) par leur chef Simon-Pierre Bestion dans une marche spectrale à travers les salles embrumées de l’Opéra.
Le choix du répertoire, qui reprend notamment des chants funèbres, met l’accent sur cette ambiance sombre et mystérieuse, liant sommeil et mort, angoisse légère et méditation. “Les musiques de ce programme entretiennent toutes un lien particulier avec le monde des forces cachées, voire obscures, explique Simon-Pierre Bestion. Ce programme cherche à retrouver les liens très forts qui unissent les vertus poétiques, mystiques et thérapeutiques de la musique, à travers des œuvres pour la plupart sacrées, issues d’époques différentes mais se faisant écho”.
Les choristes et musiciens se regroupent d’abord dans La Rotonde (attenante à la billetterie), presque dissimulés entre les colonnes. Simon-Pierre Bestion dirige le chœur, seul au milieu de la salle uniquement éclairée par la lueur blanchâtre d’un néon, avant que les artistes le rejoignent peu à peu, entonnant le Requiem d’Olivier Greif.
L’atmosphère blafarde, obscure et brumeuse, rappelle le palais du dieu du sommeil (qui se retrouvera d’ailleurs dans Semele avec le personnage de Somnus, équivalent romain d’Hypnos).
Sur Song for Athene de John Tavener, les artistes invitent le public à les suivre jusqu’aux escaliers menant aux galeries supérieures, dans une sorte de déambulation fantomatique. Leurs voix résonnent du haut des marches. À l’étage, parmi la brume et les néons disposés en cercle, Simon-Pierre Bestion conduit d’un air grave et sérieux tout en chantant lui aussi. En interprétant des morceaux tels que Quis dabit capiti meo aquam (Heinrich Isaac, 1492), des Kyrie romains, jusqu’aux compositions plus contemporaines de Marcel Pérès (Missa ex tempore, 2015) ou encore d’Arvo Pärt (Da pacem Domine, 2004), les artistes se remettent en mouvement (comme ils se meuvent à travers les siècles de ce répertoire sacré), décrivant des trajectoires circulaires, se croisant entre eux. Leurs voix, ensemble de sons cristallins et gutturaux à la fois, sont partout, elles imprègnent tout l’espace et semblent provenir de notre propre imagination, comme sorties d’un rêve. Les basses puissantes se lient à la clarinette basse de Matteo Pastorino, tandis que le cornet à bouquin d’Adrien Mabire se confond avec les aigus des sopranos, dans un mouvement enivrant où tout devient difficile à distinguer.
La performance se referme sur un chant porteur d’espoir, que les spectateurs écoutent les yeux clos, se laissant aller à une exploration du sensoriel, base de la production de La Tempête.
La compagnie qui se produira à nouveau durant le même week-end pour un concert intitulé Color (notre compte-rendu à suivre) aura ainsi plongé le public dans un enveloppant brouillard de songes et de musique, une heure et demie troublante, vibrante et hypnotique. Bien qu’encore comme ensommeillés, les chaleureux applaudissements des spectateurs font de ce concert un moment que le fleuve Léthé (le fleuve de l’oubli) ne saurait engloutir.