Macbeth et sa Sanguinaire Lady subjuguent l'Opéra de Marseille
Dès les premières minutes, le spectateur est plongé dans l'atmosphère angoissante de cette œuvre lyrique particulièrement sombre, qui ne parle pas d’amour, mais du goût pour le pouvoir politique jusqu'aux meurtres sanguinaires, le tout hanté de remords et plongeant vers la folie. Le rideau est levé avant l’ouverture orchestrale, la fumée s’élève devant l’antre obscure des sorcières. Le fantastique et la superstition règnent.
La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia génère avec habileté des surprises angoissantes pour le public. La tête ensanglantée du spectre de Banquo surgit de la table du banquet, de grandes épées traversent brutalement les murs annonçant la mort de Macbeth. L’inquiétude du spectateur est entretenue par les nombreux éclairs et coups de tonnerre.
Les décors de Jacques Gabel illustrent ce monde décadent. L’antre des sorcières avec des meubles aux pieds cassés (un piano et une table ronde, qui chavirent) alterne avec l’intérieur du château, sobre, orné de quelques meubles. Le plafond délabré est constitué de carreaux en verre, dont certains sont cassés. Les costumes de Catherine et Sarah Leterrier, sobres et variés, évoquent la période, avec fraises (collerettes blanches) et bottes en cuir. Lady Macbeth est vêtue d’une robe en velours, mais sa suivante est en tenue d’écuyère.
Paolo Arrivabeni dirige avec précision cet orchestre où les cuivres jouent un rôle particulier dès l’ouverture. Majestueux et inquiétants, ils ponctuent les événements dramatiques d’une façon obsessionnelle. Une spatialisation est rendue par les contraintes de place (harpe dans la loge à jardin jouxtant la scène, percussions dans la loge à cour). La grosse caisse fait gronder le tonnerre, les cloches sonnent le glas, représentant la mort donnée par le poignard ensanglanté de Macbeth. La harpe intervient avec délicatesse pour accompagner l’âme égarée du roi, évanoui à la suite de terribles prophéties.
Le rôle principal féminin de Lady Macbeth est interprété par Anastasia Bartoli. Dès les premières mesures de son premier air, le public retient son souffle. Sa voix brillante et projetée, d’une justesse irréprochable, même dans les passages a cappella, exprime avec ses qualités d’actrice, la soif de pouvoir, qui l’incite à exhorter son mari au meurtre du roi. La ligne mélodique est nuancée, avec des médiums ronds, suivis de vocalises naturelles et fluides, qui coulent sans effort du grave vers l’aigu. Les nuances forte et même fortissimo rendent le personnage menaçant.
Dalibor Jenis est un Macbeth au timbre rond, un peu voilé, avec un vibrato ample. Les aigus sont expressifs et puissants, mais la justesse manque parfois de précision. Son rival, Banquo, est interprété par Nicolas Courjal, une basse au timbre brillant, à la ligne mélodique bien articulée et nuancée, avec des graves denses et expressifs, des aigus cuivrés.
La mort du roi, poignardé par Macbeth, est annoncée par Jérémy Duffau en Macduff, ténor à l’émission haut placée, possédant des graves corsés et un aigu charmeur. Sa ligne mélodique soutenue permet un médium expressif, émouvant dans les passages dramatiques où il pleure sa femme et ses enfants assassinés.
Nestor Galvan chante le rôle de Malcolm, le nouveau roi d’Ecosse, d’une voix de ténor, claire, bien articulée, avec un phrasé ample et souple. Les voix de Jérémy Duffau et Nestor Galvan se mêlent de façon harmonieuse et équilibrée dans le duo célébrant le couronnement de Malcolm.
Laurence Janot, suivante de Lady Macbeth et Jean-Marie Delpas, docteur et serviteur, veillent sur Lady Macbeth dans la scène mythique du somnambulisme, où la mort devient la seule issue. Laurence Janot chante avec une voix profonde, expressive et timbrée. Le vibrato est délicat, avec une ligne mélodique très nuancée et des pianissimi remarqués, articulés, mais dramatiques. Jean-Marie Delpas est un baryton au timbre chaleureux. Le texte est compréhensible grâce à une diction et un phrasé soignés. Tomasz Hajok, messager, est un porte-voix du drame, d’un chant funèbre au texte nettement articulé.
Le Chœur est particulièrement présent dans cette œuvre, et ici très efficace grâce au travail du chef de chœur Emmanuel Trenque (qui vient d'être nommé à La Monnaie pour une prise de fonctions la saison prochaine). Il est parfaitement synchronisé, avec une palette de nuances étendue et une grande précision rythmique. Dans l’acte I le groupe des femmes est sollicité pour rendre l’oracle des sorcières. Leur rôle est fondamental, évoquant le chœur antique des tragédies : les prémonitions des sorcières influencent les décisions de Macbeth. Les solistes et les apparitions chantent également souvent avec le grand chœur, offrant de savantes couleurs musicales, proposées par l’écriture de Verdi.
Macbeth, opéra fastueux et particulièrement dramatique, enchante le public marseillais. A la fin du spectacle, une euphorie collective, animée de “bravo” criés par la foule enthousiaste et d’applaudissements frénétiques, réchauffe l’atmosphère et les cœurs des chanteurs et acteurs, charmés par cette ovation.