Master-Classe de Karine Deshayes au TCE pour la Paris Opera Compétition
La Paris Opera Competition (à vivre sur Ôlyrix, qu’elle se tienne au Palais Garnier ou recrute en zoom en temps de Covid) offre ainsi, via cette master-classe, une nouvelle récompense à des lauréats. Tous dotés d'une maîtrise avérée, ils ont le courage d’enlever leur armure pour se laisser guider (modeler même sur certains aspects) devant un public curieux et très intéressé.
Karine Deshayes, qui n’a plus de preuve à faire dans le monde lyrique (y compris dans le domaine des master-classes) déploie à nouveau son don pédagogique, avec une écoute attentive et même passionnée, précédent une séance de conseils délicats avec son désormais fameux "j'vais t'embêter", suivi par un travail sans compromission et même incisif. Karine Deshayes entre ainsi dans le détail, attachant notamment une grande importance à une diction claire et précise (permettant une meilleure compréhension du texte, mais aussi de perfectionner la technique phonatoire). Bien prononcer une phrase musicale joue aussi sur le diaphragme, qui a besoin de plus de soutien de la part des muscles abdominaux, mais implique par conséquent une plus grande gestion du souffle sur les longues phrases ainsi qu'un plus grand ancrage de la voix. Et en parlant d'ancrage, l'artiste internationale (confirmant la cohérence de ses conseils envers tous les jeunes artistes) tient à arrondir ces sons aigus qui perdent parfois de leur belle couleur centrale lorsque la position se décentre. L'ouverture de la bouche dans l'aigu fait ainsi partie de ces nombreux “détails” qui ne lui échappent pas : une ouverture qui, pas trop exagérée, permet une production plus juste, mais surtout plus ronde et plus timbrée de l'aigu. Pour chaque élément, Karine Deshayes sait observer, corriger et féliciter.
En plus de perles purement techniques, elle apporte une grande attention aux couleurs musicales de l'interprétation, au fait d’insister sur les bons accents et de différencier les différentes cellules rythmiques (comme les triolets), ce qui change grandement le caractère musical. De surcroît, la mezzo-soprano se montre très proche des interprètes et du public, stupéfaits lorsque sa voix donne aux élèves les exemples de ce qu'elle prône.
David Zobel, le pianiste accompagnateur, a ce soir tout du partenaire idéal pour une master-classe et un soliste lyrique. Accompagner un chanteur n'est pas facile, car il faut entrer en parfaite harmonie émotionnelle et intentionnelle avec l'artiste, y compris ici lorsqu’il cherche et tente, osant explorer des zones de tension (émotionnelle et physique). Or, cet accompagnateur offre constamment son attention et son toucher raffinés, avec une grande musicalité et surtout une sensibilité avisée envers les jeunes chanteurs, corrigeant les notes quand besoin, les soutenant rapidement dans un dialogue musical.
La soprano Lysa Menu ouvre le bal en interprétant “Caro Nome” d’une voix éthérée, douce et souple. Elle exécute des messe di voce (conduites de voix variant le volume) qui tiennent l’auditoire en haleine, avant de pleinement tirer profit des conseils de Karine Deshayes pour nourrir une "extase langoureuse" (Verlaine mis en musique par Debussy).
Le baryton Antoin Herrera-Lopez Kessel entre en scène dans une belle veste rouge et impressionne d’emblée le public par sa présence scénique et vocale captivantes. Le choix particulier d’interpréter Golaud lui permet de valoriser sa déclamation du texte, sa bonne tenue de souffle et une interprétation déjà dramatique en “récital” (le tout renforcé par sa voix résonante, évocatrice).
La mezzo-soprano Mathilde Legrand manque un peu d'assurance dans un premier temps, tant au niveau du timbre que de l'approche musicale pour Phidylé de Duparc. Mais ensuite et au contraire, dans l'air plus virtuose “Nacqui all'affanno”, elle déploie son caractère musical fort et raffiné, avec cran, en retenant son souffle mais pour mieux déployer ensuite une vocalité pleine de couleurs et au timbre de velours.
Emilie Rose Bry est un soprano de caractère qui dans “Temerari... Come scoglio” de Fiordiligi et dans le 3ème Lied d’Ophelia de Strauss, affirme une présence scénique sûre et captivante. Sa vocalité joue sur les difficultés techniques de Mozart, les changements de registres, la dimension volatile et l'agilité, mais sait aussi traduire le caractère dramatique de Strauss grâce à la prononciation et à une bonne tenue du souffle dans le legato.
Le ténor Peng Tian interprète le célèbre air “Una furtiva lagrima” avec une voix douce, bien soutenue et harmonieuse. Bien que le timbre soit un peu trop nasal dans les aigus, il fait preuve d'une grande musicalité et d'une grande ductilité en se laissant guider par Karine Deshayes qui, modelant certains détails interprétatifs sur la base de l'ambiguïté de la pièce (tristesse-joie), parvient à faire ressortir de ce jeune chanteur une expression plus émouvante.
Si l'attitude physique d’Axelle Saint-Cirel reste un peu trop statique, la mezzo-soprano excelle avec une voix cristalline, timbrée dans tout son registre, qui fait résonner la prestigieuse salle de ce Théâtre. Après Fiordiligi, c’est Dorabella : qui chante (“Ah, scostati!... Smanie implacabili”) d’un phrasé musical tenu par un souffle impeccable et aux virtuosités parfaitement exécutées sur une technique bien gérée. De quoi permettre à Karine Deshayes de conclure cette masterclass talentueuse par quelques derniers petits détails, précédés du « j'vais t'embêter ».
Très applaudie par le public, et recevant un légitime hommage floral, la mezzo-soprano confirme sa générosité en se faisant un devoir de suivre personnellement les artistes qui suivent son enseignement.