Requiem for an Angel : le rayonnement hors les murs de l’Opéra de Toulon
Une performance humaine et musicale bien singulière émane des hautes voûtes de la Cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence, tandis que la tempête gronde et verse, en cette première nuit d’automne, en terre provençale. Elle est le fruit du jumelage d’Aix-en-Provence avec Bath, ville du compositeur et de son frère, le directeur musical de la soirée (Gavin Carr). Cette première française aura été donnée dans deux des plus grandes nefs provençales, la basilique de Saint-Maximin la veille et la Cathédrale d’Aix-en-Provence, aux pierres médiévales miraculeusement conservée, ce soir.
Le Requiem for an Angel, est une pièce religieuse en huit mouvements, dans laquelle les parties liturgiques traditionnelles propres à la messe des défunts sont interpolées par un Chorale « Let mine eyes see Thee » et Song « Do I Love You ». Elle est dédiée à la mémoire de la mère de Paul et Gavin Carr, la soprano lyrique australienne Una Hale, décédée en 2005. Comme nous le confie le compositeur à l’issue de la représentation, l’œuvre est consacrée à la sérénité et à la consolation. Ainsi, les parties centrées sur la terreur et la colère divines sont-elles écartées, dans le sillage du Requiem de Fauré ou Duruflé plutôt que celui de Mozart, Verdi ou encore Brahms. L’œuvre vient ainsi apporter, avec la ferveur propre à la musique chorale accompagnée par un grand orchestre, un message d’apaisement accessible à tous et à chacun (l’entrée étant gratuite). Une synchronicité de circonstance fait que la soirée est dédiée à la mémoire, non seulement d’un Ange, mais de Sa Majesté la Queen Elizabeth 2, s’agissant d’une formation chorale, d’un chef et d’un compositeur anglais.
L’écriture de cette œuvre montre qu’il existe un espace, à la croisée du monde institutionnel, associatif, culturel et artistique, pour une musique tonale de notre temps, inspirée par les grands compositeurs de la première modernité, la musique de film et le musical, notamment dans le monde anglo-saxon.
La présence d’un dispositif choral particulier, The Really Big Chorus (United Kingdom), rompu aux pérégrinations internationales, partage avec la ville d’Aix-en-Provence et la direction de l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon une même mission de sensibilisation des publics à l’art choral, hors-les-murs de l'opéra. The Really Big Chorus est en effet "vraiment (très, très) grand", impliquant plus de 10.000 chanteurs au total à travers le monde. Il opère en groupes restreints comme c’est le cas ce soir (une soixantaine de chanteurs) ou plus larges (jusqu'à 3.500), notamment pour sa « grand-messe » annuelle : Messiah from Scratch de Haendel, chantée au Royal Albert Hall de Londres. Ces concerts ont une finalité caritative et soutiennent des associations (British Heart Foundation ou encore WaterAid).
Son engagement sur le terrain, les hommes au centre, les femmes sur les deux ailes, est à la fois visible et audible. Le plaisir d’exprimer d’une même voix, dans l’acoustique généreuse et l’accompagnement du grand orchestre, des textes de foi, le galvanise et lui donne une énergie d’oratorio, tant dans la retenue que l’explosion. Les départs sont des moments délicats, dont la précision et la couleur reposent sur une écoute réciproque.
Deux voix solistes viennent chapeauter la masse chorale. La soprano Eleanor Pennell-Briggs tient son rang, d’un bout à l’autre de la partition, alors même qu’elle montre les discrets signes d’un début de malaise. Le timbre est lumineux, comme un fruit au soleil, le vibrato naturel, l’articulation labile, le souffle délicat. Elle est cette figure d’ange, sublimée par une musique qui se fait intime lorsque son chant vient à apparaitre et rayonner (Pie Jesu).
Le baryton Jake Muffett a de la présence, son instrument généreux jouant entre les genres (avec du musical en filigrane de sa partie liturgique, qu’il exécute avec l’autorité et la gravité requises). Les registres de sa tessiture sont homogènes, le souffle long, le vibrato parcimonieux, ce qui confère à son timbre un peu de poudre noire, en écho aux percussions –un brin militaires– de la partition (Let mine eyes see Thee). La langue anglaise est percutée à souhait, sur chaque consonne explosive, et s’allie avec bonheur à la partie orchestrale, dans la ferveur comme dans la joie.
La direction musicale de Gavin Carr, qui est avant tout un chef de chœur et un chanteur, est épidermique, géométrique, dans les entrelacs des bois les plus fins, ou les grandes plages sonores. Ces derniers mettent les corps en vibration (des musiciens comme du public), tels des blocs de granit soulevés par les timbales, ourlés par les cloches. Sa gestique est ample, quasi athlétique, de manière à traverser les grands espaces, depuis l’orchestre jusqu’au chœur.
L’Orchestre Symphonique de l'Opéra de Toulon accompagne toutes ces voix avec enthousiasme. Le pupitre des percussions produit des scansions et des pulsations, sombres ou cristallines (Kyrie), tandis que les cordes obtiennent le galbe précis nécessaire dans un espace acoustique aussi généreux. La présence du saxophone, rare à l’orchestre, offre à la partition le timbre d’un orgue étrange, véritable instrument « fantôme » de la partition. Le référent sonore semble être l’orgue (comme dans le Requiem de Duruflé), alors qu’il est absent (Agnus dei).
L’œuvre –véritable manteau d’émotion–, son créateur et ses interprètes, reçoivent une standing ovation immédiate. Un partage concret d’expérience se fait avec le public, notamment lors de l’extinction de la lumière en plein Pie Jesu, faisant écho au genre particulier de la messe des morts, à ses étincelles comme à ses ténèbres.