Les Vêpres de Monteverdi, Philippe Herreweghe : deux monuments à Saint-Roch
Philippe Herreweghe dirigeant les Vêpres de Monteverdi, c’est la rencontre de deux monuments musicaux. Le premier est considéré comme un pilier dans l’interprétation de la musique baroque et, même s’il déclare que « Le baroque j’évite un peu, j’en ai vraiment trop fait ! », il faut croire qu’il n’en a pas fini avec cette musique et notamment avec cette œuvre qu’il côtoie depuis plus de trente ans.
Les Vêpres de Monteverdi, quant à elles, sont considérées comme la première œuvre sacrée "moderne", une œuvre emblématique dans laquelle le compositeur mêle tradition et modernité avec une inventivité jubilatoire. Ce mélange s’entend dès l’entrée (« Deus in adjutorium), le chœur chantant les versets sur un seul accord (tradition du faux-bourdon) et l’orchestre jouant simultanément la fanfare de son opéra Orfeo.
La jubilation est tout d’abord sonore, Philippe Herreweghe privilégie les accords du contrepoint qui s’épanouissent dans l’acoustique du chœur de l’église rendant l’ampleur architecturale de l'œuvre. L’ajout de chant grégorien avant les psaumes (« Antiphonia ») affirme l’ancrage de l'œuvre dans le temps.
Les dynamiques apparaissent équilibrées et bien que les élans rythmiques demeurent adoucis, les instrumentistes de l’orchestre Collegium Gent rivalisent de virtuosité. Le Magnificat fait ainsi entendre les cornets et les violons volubiles tourbillonnant au dessus du cantus firmus soutenu par les voix (citation d’une mélodie extraite de la liturgie).
La marque Herreweghe réside également dans l’attention portée au texte et à son sens. Pour cela il s’appuie sur l’expertise de huit chanteurs-interprètes qui connaissent leurs Vêpres parfaitement, les ayant enregistrées avec lui en 2018 (à l’exception de Hannah Morrison remplaçant la soprano souffrante). Cette longue collaboration laisse apparaître une complicité de chaque instant leur permettant de répondre au mieux à la battue non conventionnelle du chef.
Les Vêpres offrent une infinité de combinaisons pour lesquelles les solistes, riches de leur écoute fine et d’un contrôle vocal assuré, assument aussi bien les parties de chœur que les interventions solistes. Les tutti relèvent d’une homogénéité rayonnante et les chanteurs mettent au service de l'œuvre toute leur sensibilité d’interprète.
Le ténor Reinoud van Mechelen est particulièrement inspiré lorsqu’il entonne « Nigra sum, sed formosa » (je suis noire, mais je suis belle) rendant toute la sensualité du texte du Cantique des Cantiques. Sa voix claire émerge des graves délicats et timbrés et l’intensité est conduite jusqu’au « Veni » extatique. Il est rejoint par le ténor Samuel Boden pour « duo Seraphim » (deux Séraphins) et leur proximité vocale permet les voluptueux frottements sur les dissonances, tous deux prenant ensuite leur envol, trillant et vocalisant à l’envi l’un l’autre.
Benedict Hymas est tour à tour ténor pour interpréter le troisième Séraphin et contre-ténor lorsqu’il chante la partie d’alto 1 des psaumes. Délicat et présent dans son registre de tête, son ténor s’incarne et se marie idéalement aux deux autres anges.
Les sopranos Hannah Morrison et Barbora Kabátková s’entendent pour interpréter « Pulchra es, amica mea » (tu es belle, mon amie), autre extrait du Cantique des Cantiques. Si la première fait entendre des fragilités aux débuts des phrases, la seconde intervient plus directement, les deux se rejoignant pour clamer brillamment la beauté de la fille de Jérusalem.
Les timbres des basses Peter Kooij et Wolf Matthias Friedrich sont si riches qu’ils assurent la présence du socle harmonique sans effort. Si le premier préserve une posture concentrée, le second, plus théâtral, vit intensément chaque parole. William Knight interprète la partie d’alto 2 se fondant merveilleusement à l’ensemble.
Nouvelle manière ou archaïsme, le temps ne semble pas avoir d’emprise sur cette œuvre qui met du baume au cœur et le public, reconnaissant, applaudit sans retenue.