Molière et Lully en fête à la Maison de la Radio
Pas moins de neuf extraits de huit comédies-ballets ayant réuni Molière et Lully sont au programme, dont Le Mariage forcé donné ici sous la plume de deux compositeurs, un morceau du programme étant signé Marc-Antoine Charpentier (vers lequel se tourne Molière après la brouille avec Lully).
Les artistes du soir s’impliquent pleinement dans ce programme et l’esprit de cette soirée, chantant et jouant de leur instrument mais sachant aussi jouer la comédie, voire esquisser des pas de danse dans ce programme baroque.
Tous les solistes lyriques étant visiblement rompus à l’exercice des ornements, la richesse et l’homogénéité des performances dans tous les morceaux proposés est assurée grâce à l’écoute et l’entente construite au fil et au fur et à mesure des morceaux. L’équilibre musical est aussi présent entre les instrumentistes et les chanteurs, aucun ne l’emportant sur l’autre. Le public, visiblement ravi à la fin du concert, peut ainsi se délecter des timbres et de leurs réunions.
Les instrumentistes du Poème Harmonique expriment ce soir leur forme musicale et même scénique, se “mouvant” comme une seule entité par leurs sons, mais sans hésiter aussi à se trémousser lorsque la musique les pénètre (en pleine résonance avec l’animation qui règne au plateau). En phase tout aussi bien avec les chanteurs qu’avec les instrumentistes, le chef Vincent Dumestre, lui aussi débordant d’énergie, va même jusqu’à joindre sa voix au tutti lyrique à la fin du spectacle.
Dès son arrivée pour le premier menuet de la soirée, la soprano portugaise Ana Quintans propose une interprétation douce et chaleureuse. Chaleur qui se fait même voluptueuse tout le reste du concert durant, avec une projection vocale maîtrisée et une diction modèle (même en français d’époque).
David Tricou pose, dès les premières notes de son duo extrait de “L’Amour Médecin” avec Geoffroy Buffière, sa voix de haute-contre claire et percutante. La vocalité est typique du style et de la tradition française, avec une expressivité affirmée, une très belle ligne de chant, une homogénéité et qualité vocale à la fois dans ses aigus et ses graves.
Dans cette ambiance de mise en espace inattendue, les chanteurs occupent tout le plateau, en dansant même la branle autour de l’orchestre à plusieurs reprises. Le baryton Romain Bockler semble de fait légèrement plus discret, mais son timbre doux soutient l’équilibre de l’ensemble avec une grande justesse, notamment dans l’air de la Bergerie où il devient un chat très éloquent.
Igor Bouin ressort de l’ensemble par son apparence (il est le seul ayant habit coloré, perruque et visage poudré) et son aisance. Déambulant en récitant chanteur, il est désopilant et se distingue aussi par la puissance vocale et le timbre éclatant de son baryton. Son grand succès lui est acquis par un clin d'œil à la Rossinienne Cecilia Bartoli et au Barbier de Séville, lorsqu’il cite l'air de Rosine “Una voce poco fa" et chantonne les “Figaro Si Figaro Là” si connus du grand public, au sein du “Piglia-lo sù" (déjà une parodie italienne concoctée dans Monsieur de Pourceaugnac).
Enfin, la basse Geoffroy Buffière toujours “gravement” présent, contraste en tapissant la voie de sa voix riche. Discret quand il le faut et large quand il le doit, il déploie au fur et à mesure du spectacle une montée en puissance (que le public aurait appréciée encore plus explosive lors du bis).
Entre chant, jeu mais aussi danse, le programme culmine en charivari lorsqu’Igor Bouin, dans son rôle de bouffon, provoque ses camarades chanteurs : et voilà que les instrumentistes se lèvent de leurs pupitres pour aller se venger sur ce bouffon du Roi. Tous participent ainsi pleinement à cette soirée, même en chantant, au dernier morceau, l’armoire à pharmacie d’Argan (Le Malade imaginaire déclinant ses diverses potions quotidiennes) dans une version jazzy de Ginette Garcin.
Ce théâtre musical vivant enflamme le public de l’auditorium. Et si, comme disait Molière “Un silence, voilà qui est suffisant pour expliquer un cœur”, c’est ce soir le sonore accueil du public qui suffit pour exprimer son bonheur.