La Flûte enchantée scintille à l’Opéra Bastille
Dans une forêt baignée d’une douce lumière, entre Tamino. Alors que s’éteignent les dernières notes de l’ouverture, l’opéra de Mozart se découvre au public. Ici, nulles parures enchanteresses ou déguisements exubérants : l’heure est à la simplicité, voire à l’austérité pour Sarastro et ses disciples, dont même les visages sont recouverts d’un voile sombre, comme pour la Reine de la Nuit et ses trois dames, elles aussi sont en noir, portant tailleurs et lunettes de soleil (rendant la Reine difficile à distinguer des autres).
La lumière vient quant à elle des blancs atours de Tamino et Pamina et de ceux que portent tous les personnages après le rite initiatique de ce couple principal. L'enjeu est donc de passer du côté obscur au côté lumineux, en traversant cette forêt qui est davantage un lieu perdu au milieu de nulle part, qu'un royaume fantastique. Une traversée aussi de la mort à la vie dans ce monde inquiétant où Tamino apparaît pour la première fois surgissant d’un carré de terre fraîchement creusé -de toute évidence une tombe-, sans oublier l’apparition d’une fiancée cadavérique à la Tim Burton (avec un magnifique travail de maquillage), et les cercueils disposés sur la scène.
C’est dans ce monde étrange que chemine, aux côtés de Tamino et Papageno, la musique de Mozart. Le chef d’orchestre Antonello Manacorda propose une direction efficace, avant tout marquée par sa simplicité et son élégance, menées par une baguette enthousiaste tout au long de la représentation. Le chœur n’est pas en reste, par son habileté et son équilibre, d’autant plus évident dans cette mise en scène qui distingue, dans son placement, chaque individu de l’autre.
Des solistes du Chœur d’enfants de l’Opéra de Paris et de la Maîtrise des Hauts-de-Seine viennent les trois garçons, apportant une touche de douceur, par des voix encore éthérées, dans le spectacle. L’autre trio est celui des Dames, orchestré par Margarita Polonskaya (nouvelle Académicienne de l’Opéra national de Paris), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (ancienne Académicienne) et Katharina Magiera, qui présentent un excellent travail de dynamique de jeu et de connivence du chant. La première propose un chant vif et dégagé, la seconde est plus débordante, mais aussi précise et de même chez la troisième, quoique plus saillante. Quant aux hommes, Martin Gantner est un Orateur posé au baryton rond et travaillé. En Premier Prêtre/Second homme armé, Niall Anderson impose une voix souple et nuancée. Son collègue ancien Académicien, Tobias Westman est un Second Prêtre/Premier homme armé à l’intonation nette et plus légère. Michael Colvin est un Monostatos échauffé, trépidant et servile, explosif dans son désir pour Pamina : l’expressivité est grande, notamment dans le jeu d’un ténor rêche sur les bords, et par ailleurs ferme et musclé.
La Reine de la Nuit est interprétée par Caroline Wettergreen, qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris. La voix parle plus que l’interprétation, qui reste assez timide au début, quoique déjà bien plus énergique dans le fameux air « Der Hölle Rache ». Le chant, doté d’une belle ligne, ne manque pas de tenue, il est souple et porté par de beaux aigus, quoique parfois fatigués, et orné de graves solides.
René Pape campe Sarastro, imposant tout de suite dans son manteau noir et par sa voix sombre et profonde de basse, dont l’amplitude frappe aussitôt le spectateur. La puissance de la voix est cependant habilement contenue pour la précision mozartienne et confère ainsi une pesanteur particulière dans le rôle (avec tout de même une certaine raideur dans l’interprétation), d’autant plus que sous ses voiles obscurs, son personnage semble hanter la scène.
Huw Montague Rendall remporte un formidable succès dans le rôle de Papageno pour ses débuts à l’Opéra de Paris, dont il n'apparaît pas d'abord depuis la scène mais depuis le parterre (un travail de l’espace qui reviendra plusieurs fois, car Tamino et Pamina eux aussi y feront escale). Son jeu est dans la lignée de la buffa italienne et le chanteur, particulièrement motivé, s’amuse à en exacerber (parfois trop) le comique. Quant à la voix, quoique légèrement essoufflée par endroits, elle est aussi agile et sert avec brio la théâtralité du jeu. Son fameux duo avec Papagena, ici Tamara Bounazou (laquelle est vêtue exactement comme lui, de vieilles fripes de campeur itinérant), est joyeux et bondissant, drôle par les jeux de miroir auxquels se livrent les personnages. Tamara Bounazou est, elle, une Papagena rieuse, au soprano chaleureux, et en bonne alchimie avec sa contrepartie masculine.
Pretty Yende déploie la superbe de l'héroïne Pamina, notamment par une présence joyeuse et lumineuse, et la cantatrice prend un plaisir évident au rôle. Le timbre est riche et ouvragé, doté d’une belle clarté printanière, la ligne est vibrante et l’interprétation à la fois légère et touchante, notamment dans « Ach, ich fühl’s » où elle songe au suicide. Avec une aisance enjouée, elle virevolte sur la scène dans sa robe blanche, et partage elle aussi une agréable alchimie avec Tamino, quoique dans les duos sa voix recouvre un peu celle du ténor.
Mauro Peter enfin, est un Tamino au timbre clair et net et, d’une voix à la fois forte et délicate, il s’approprie parfaitement les notes et le texte de l’opéra, qu’il manipule aisément, dans sa bonhomie charmante et l’insouciance qu’il donne à son personnage. Plus sérieux au moment des épreuves, il reste particulièrement tendre avec Pamina et propose donc une interprétation à la fois vigoureuse et touchante.
La lumière jaillit enfin sur la scène et, l’espace d’un instant, dans la salle entière de l’Opéra Bastille, tous les personnages, cette fois-ci tous en blanc, saluent « les rayons du soleil qui chassent la nuit ». C’est sur cet éclat que s’achève le spectacle, sous le tonnerre d’applaudissement d’un public emporté, depuis le début, par la représentation. Enfin, les airs de Papageno encore en tête, il s’en ressort aborder la fraîche nuit parisienne.