La Flûte enchantée de Mozart au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André
Les Talens Lyriques fêtaient cette saison qui s’achève leurs 30 années d’existence et de succès. Pour autant, ce n’est qu’en 2017 que Christophe Rousset choisit de s’attaquer à cet ouvrage emblématique de Mozart (compositeur apprécié et dirigé par Berlioz en son temps qui connut une version française de cet opéra), La Flûte enchantée, dans le cadre d’une production scénique post-apocalyptiques signée David Lescot à l’Opéra de Dijon. Pour accompagner aujourd’hui cette version concertante de l’ouvrage, il a demandé à Benoît Bénichou de régler une mise en espace des solistes et des choristes tout en élaborant un ensemble de projections vidéos censées refléter les moments centraux de l’histoire. Si les entrées et sorties s’avèrent parfaitement réglées, les projections proposées peuvent surprendre ou enchanter selon le cas, depuis ces vues d’une forêt des origines et des animaux qui la peuple, ces temples mystérieux tout droit issus des ruines magnifiques de Petra, ces ciels étoilés ou, plus hasardeux, cette image des catacombes de Paris au premier duo Pamina/Monostatos. Aucune recherche métaphysique ou pseudo maçonnique ici, mais un appui à la compréhension d’un ouvrage lyrique aux multiples entrées possibles.
À la tête des musiciens des Talens Lyriques, Christophe Rousset semble suivre la même voie. Il propose ainsi une direction vive et dynamique, pleine de vitalité pour assurer une représentation à la fois souriante et se rattachant à une tradition expressive qui laisse la pleine part au chant en lui-même.
Sandrine Piau, sur laquelle les années ne semblent pas avoir de prise, incarne une Pamina sensible et attachante, partagée dans ses sentiments mais enfin radieuse à la fin. La voix s’élève avec onctuosité et un naturel permanent, libre dans l’aigu de toute étreinte, délicate de conduite et surtout toujours marquée du sceau de la musicalité, sa marque de fabrique.
À ses côtés, le ténor Jeremy Ovenden capte moins l’attention. Son Tamino ne manque pas de charme et la voix se pare de couleurs variées, mais l’aigu demeure un peu contraint. Le baryton autrichien Christoph Filler a interprété le rôle de Papageno à plusieurs reprises sur scène et a conservé au sein de son interprétation un ensemble de mimiques et d’exagérations qui, en version de concert, semble excessif. La voix manque un peu de naturel de fait tout en répondant globalement aux exigences du rôle. La jeune Daniela Skorka lui donne une réplique à la fois savoureuse et encore un peu verte au plan strictement vocal en Papagena.
La soprano colorature espagnole Rocio Pérez poursuit une carrière prometteuse avec notamment le rôle de La Reine de La nuit. La voix apparaît corsée au niveau du timbre, avec des accents presque dramatiques. Les vocalises s’égrènent sans aucune difficulté et le suraigu est en place. Il manque toutefois encore une part d’individualité à son interprétation pour la rendre plus pleinement marquante.
La très belle surprise vient, à en juger aussi par le ressenti du public, du Sarastro de la basse roumaine Alexander Köpeczi : vraie basse noble et profonde, il déploie un matériel vocal large et puissant avec un timbre qui demeure dense sur toute l’étendue. Les graves s’inscrivent en pleine continuité de la voix, émis avec une rare aisance et une sûreté presque troublante. Le legato est privilégié par cet artiste bientôt attendu aux Opéras de Munich, Berlin (Komische Oper) et au Covent Garden de Londres.
Markus Brutscher campe un Monostatos convaincant et plaisant. Le trio des Dames est justement composé de Judith van Wanroij, au soprano toujours sonore et à l’aigu aisé, Marie-Claude Chappuis, solide mezzo au timbre chaleureux et Angélique Noldus, dont la voix de mezzo de caractère se marie avec aisance aux voix de ses consœurs pour former un ensemble particulièrement convaincant.
Christian Immler incarne un Orateur presque de luxe, sa voix riche et rayonnante de baryton-basse, d’une tenue irréprochable, conférant à ce personnage central toute sa hauteur de vue.
L’Ensemble vocal de Lausanne, fondé en 1961 par Michel Corboz, révèle une nouvelle fois ses multiples qualités par sa précision et l’investissement personnel de chacun des choristes présents. Sans bien entendu oublier les trois enfants des Wiener Sängerknaben -Stanislas Maxime Koromyslov, Yvo Otelli, Adriàn Bruckner Gomez- qui démontrent ici l’excellence de leur formation.
Ils reçoivent une juste ovation, presque supérieure à celles des autres interprètes en présence.