François Lis à Lyrique en Tronçais, concert entre amis et grande première
Trois jours durant en cette fin du mois d’août, l’église Saint-Etienne d'Ainay-le-Château accueille depuis cinq ans des artistes qui viennent faire honneur aux plus belles pages du répertoire lyrique, dans des concerts qui sont comme autant de soirées de gala où s’enchaînent les plus grands “tubes” de Mozart, Verdi, Gounod et consorts… Dans ce somptueux écrin niché au nord de l’Allier, à quelques encablures d’une vaste forêt de Tronçais connue pour la majesté de ses chênes, cette édition 2022 ne fait pas exception à la règle, avec des invités qui se relaient pour assurer les trois concerts du festival. Et puisque celui-ci a cette année pour thème l’Italie, ce sont évidemment les maîtres du genre qui sont mis à l’honneur, de Bellini à Donizetti en passant par Verdi, sans oublier Mozart et sa riche œuvre de langue italienne (l'Italie aussi mise à l'honneur au travers d'une exposition photo installée dans l'église, donnant l'occasion au public, avant le concert ou pendant l'entracte, de découvrir des portraits et paysages italiens de peintres du XIXe siècle tels que Prosper Marilhat, Henri de Chacaton, Alexandre Decamps, ou encore Pierre Thuillier, outre un portait de Donizetti à l'auteur anonyme mais ne manquant pas d'intérêt).
Ce cinquième millésime culmine notamment en une soirée où François Lis, présenté comme la tête d’affiche, vient se produire aux côtés de ses partenaires et amis que sont Marlène Assayag, Ania Wozniak, et le baryton Arnaud Kientz. Au menu des réjouissances, un festival de gourmandises lyriques où se succèdent des grands airs de la trilogie da Ponte (Noces de Figaro, Cosi fan tutte, Don Giovanni) mais aussi de Donizetti (L’Elixir d’amour, Lucia di Lammermoor), Puccini (Tosca), ou encore Verdi (Les Vêpres siciliennes, Simon Boccanegra). Un programme royal où les émotions sont changeantes, mais où restent constants l’investissement et la générosité vocale d’artistes qui alternent avec un pareil élan les performances en solo, duo et trio, accompagnés par l’impeccable pianiste Maxime Neyret. Co-organisateur du festival aux côtés de Jean-Marie Chauvin (un contre-ténor émérite), l’instrumentiste se fait constamment soucieux de bien se faire entendre pour marquer attaques et tempi, tout en cherchant le meilleur équilibre sonore entre les voix et son piano par le biais d’un sens prononcé de l’écoute et de la musicalité. Un hôte accueillant et un accompagnateur de choix, en somme.
Au cœur de cette belle soirée, François Lis endosse avec conviction des rôles aux multiples visages, d’un Bartolo rancunier (“La Vendetta”) à un Don Giovanni très aguichant (“La ci darem la mano”) en passant par un Figaro folâtre (“Cinque, dieci”) ou un Procida à la fibre patriotique joliment restituée (“O tu Palermo”). Chacun de ces airs se trouve servi par une voix noblement timbrée et émise avec une profondeur saisissante, d’autant plus résonante dans cette petite église aux basses voûtes. Tout n’est que délice et subtilité dans chacune des incarnations qui se succèdent avec une même ardeur vocale, la basse devenant d’autant plus ténébreuse à mesure qu’elle approche des notes les plus graves, comme dans cet air de Fiesco (“Il lacerato spirito”, Simon Boccanegra) empli de toute l’intensité dramatique requise. À ses côtés, Arnaud Kientz possède un baryton moins sonore mais qui reste distingué en émission et de belle amplitude, trouvant notamment à se faire entendre lors de jolis ensembles, dans Cosi fan tutte en Guglielmo puis en Alfonso, ou en Dulcamara usant là d’une diction parlée à la vive rythmique dans le plus pur style rossinien.
Une “première mondiale”
Fidèle au festival depuis sa création, Marlène Assayag fait un peu plus que se présenter comme une invitée de François Lis : pour un peu, elle lui volerait presque la vedette, tant chacun des rôles qu’elle vient ici chanter se trouve honoré par un soprano aussi sonore que joliment vibré. La ligne mélodique est d’une constante netteté, avec des reflets fleuris en Susanna ou Adina, qui laissent la place à des traits plus mélancoliques (“Soave sia il vento”). La soprano, à peine revenue de La Chaise-Dieu pour un remplacement au pied-levé d’Emmanuelle de Negri, s’illustre aussi dans l’un des temps-forts de ce concert, l’interprétation d’une version inédite du “Regnava nel silenzio” de Lucia di Lammermoor. Une “première mondiale”, dixit Maxime Neyret, qui a lui-même effectué un minutieux travail de recherches dans des fac-similés des écrits du compositeur, pour restituer cette version, sans doute la toute première écrite par Donizetti pour cet air, et qui n’a vraisemblablement jamais été donnée ailleurs que lors des répétitions précédant la création de l’œuvre en 1835. Cette version exhumée consiste en la présence de quelques mesures chantées supplémentaires par rapport à la version retenue par la postérité. Elle est aussi retranscrite un demi-ton plus haut, et s’exonère de nombreux ralentissements de tempi aujourd’hui retenus dans les interprétations usuelles. Pas de quoi décontenancer Marlène Assayag, qui y fait briller l’amplitude sonore de son instrument élastique et généreusement vibré, dont les traits expressifs traduisent efficacement tout le tourment du personnage, le défi de l’endurance pour tenir l’air sur sa douzaine de minutes étant relevé avec brio.
Enfin, Ania Wozniak, récente Lola dans un Cav-Pag signé Opera Eclaté, prête avec une égale application sa chaude voix de mezzo à différents rôles, de Zerlina à Dorabella en passant par une discrète et dévouée Alisa (aux côtés de la Lucia du soir). De sa prestation sans fausse note, l'auditoire retient surtout le vibrant Vissi d’Arte, porté par un mezzo expressif au medium bien creusé, et par une incarnation tout en affliction. L’audience s’en régale, et apprécie tout autant le triomphal “Suoni la tromba” des Puritains chanté en fin de concert par les deux voix masculines, dont celle de François Lis qui sait décidément bien s’entourer.