Chœur de paix chanté à la Basilique de Vézelay
Les profondes voix lettones pénètrent ce soir le chœur de la basilique de Vézelay. Au programme, six des quarante Motets latins de Bruckner, et la Liturgie de Saint Jean Chrysostome de Tchaïkovski – deux œuvres réunies sous le thème d’une complainte pour la paix, auxquelles s’ajoutera une troisième du compositeur Valentin Silvestrov, la Prière pour l’Ukraine jouée en bis et, elle aussi, implorant grâce et merci pour le pays. Le concert commence tandis qu’un oiseau, enfermé dans la basilique, erre ici et là, d’un bas-côté à l’autre – peut-être venu profiter, à sa façon, de la musique.
D’emblée, le chœur s’impose par sa seule présence, droite et solennelle, d’abord dédié aux Motets de Bruckner qui ouvrent le bal avec le Locus iste. L’a cappella est majestueux, pesé et presque sévère, mais cela n’empêche ni la finesse d’apparaître, ni la couleur de rayonner, notamment par les brillants contrastes entre la lumière des sopranos et des altos, et les basses appuyées et terrestres, notamment celle du Diacre de la Liturgie, ainsi que celle, plus sourde et plus claire, du Célébrant.
Sigvards Kļava mène le chœur avec une rigueur et précision telle que les chanteurs tournent parfois les pages de leurs partitions pile en même temps – de même que leur maîtrise rend leurs respirations à peine perceptibles. Ordre et discipline sont au rendez-vous, sans que cela n’entache à l’engagement des voix, et à la profonde délicatesse sur laquelle s’achève, notamment, l’alléluia de l’Os justi de Bruckner, qui tient le public en haleine jusqu’au bout, avant un éclat d’applaudissements enthousiastes, emportés par la musique.
Le chœur s’impose autant chez Tchaïkovski, un répertoire parfaitement maîtrisé dans lequel il se fond immédiatement. Les attaques sont nettes, les lignes de chant claires et les réponses du chœur au Diacre et au Célébrant se lèvent avec éclat et pénétrance. Enfin, de même que pour le latin, la prononciation du russe est claire et sans accroc et, sans difficulté presque, le spectateur peut saisir le texte.
En bis, Sigvards Kļava et le chœur reprennent la Prière pour l’Ukraine de Valentin Silvestrov. Les voix se posent dans l’air avec, cette fois aussi, une grande délicatesse et, sur la douceur des dernières notes, s’achève la prière – mais un long silence, que nul n’ose interrompre, se prolonge encore jusqu’à ce qu’un applaudissement hésitant le rompe enfin, suivi des autres, ceux d’un public touché, et marqué par ce qu’il vient d’entendre, mais encore intimidé – peut-être par l’austérité du chef de chœur qui salue avec rigidité avant d’entraîner à sa suite, en rang, les interprètes.
Les portes de la basilique s’ouvrent et l’oiseau enfermé s’envole enfin dehors, suivant la file du public qui retrouve la fraîcheur du soir et de la nuit étoilée de Vézelay, encore égaré dans les brumes de la musique.