Cosi fan tutte au Festival de la Vézère, ainsi triomphe la fidélité
Après Tosca fort applaudie (portée par Ilona Domnich, Gareth Morris et en Scarpia Jean-Kristof Bouton, qui s'était déjà distingué ici l’an passé en Escamillo), Cosi fan tutte fait l’objet de deux représentations, la première d’entre elles ayant lieu dans le cadre aussi charmant qu’intimiste de la grange du somptueux Château du Saillant. Là, sur les bords de la Vézère, une estrade d’à peine 20 m² se transforme tous les ans en une scène d'opéra dont le public oublie rapidement qu’elle n’est qu’éphémère, tant les spectacles qu’y propose la troupe de Bryan Evans y trouvent toujours leurs marques scéniques et musicales. Six ans après avoir déjà été joué ici même, mais avec une autre mise en espace, ce Cosi fan tutte ne fait pas exception à la qualité coutumière d'une troupe qui a fait de Mozart l’un de ses compositeurs fétiches (Don Giovanni l’an passé, mais aussi La Flûte enchantée, Les Noces de Figaro ou encore L’Enlèvement au Sérail ont déjà été joués en ces lieux).
Avec quelques bancs de faux marbre blanc, une table et des chaises de style fer forgé, le décor donne, comme toujours avec Diva Opera, dans le peu de choses, l’étroitesse de la scène ne permettant de toute façon pas l’outrance matérielle. Mais une nouvelle fois, comme transfiguré par la magie du lieu, l’ensemble fonctionne à merveille, permettant par les mouvements multiples de ces éléments de mobilier de décrire tant un salon qu’un jardin ou une taverne où les conversations de comptoir, évidemment, tournent autour de la question ici centrale de la fidélité. Les costumes eux aussi font dans l’efficacité sans faire dans l’opulence, oscillant entre deux styles qui scindent les atmosphères. Côté pile, celui de la fidélité, ces hommes portent costumes et salopettes façon Belle Époque, et ces dames d’élégantes robes aux teintes sobres. Côté face, celui d’une inconstance invitant davantage à se lâcher (mais à quel prix ?), les messieurs sont de comiques “loubards” de l’ère moderne aux manteaux de cuir et à la moustache bien taillée, et les demoiselles revêtent talons et robes à fleurs aux couleurs flashys. Deux styles et deux ambiances en somme, la rythmique de l’intrigue valant aussi (et surtout) par l’entrain et le mouvement permanents des acteurs-chanteurs qui, s’ils n’ont pas beaucoup de place pour se mouvoir, savent exploiter chaque mètre carré de l’espace scénique pour élargir un mouvement de colère, déclamer son amour avec une emphase toute gestuelle, où même donner dans la confidence au nez et à la barbe d’un public amusé.
Des duos savoureusement complices
Dans cette version pour piano largement raccourcie, amputée d’une grande partie de son ouverture et de nombreux récitatifs (donnant parfois lieu à des transitions abruptes entre les scènes, mais sans altérer la compréhension globale d’une intrigue de toute façon simple), Bryan Evans derrière son piano-orchestre se fait toujours impeccable meneur de troupe. Pleinement complémentaires, tant lorsqu’il s’agit de vanter la fidélité que d’expérimenter tout l’inverse, Gabriella Cassidy et Katherine Aitken usent, chacune dans leur registre, de voix qui se valent dans la qualité et la sonorité de leur émission. La première est Fiordiligi, engagée dans son rôle de femme cherchant jusqu’au bout à résister à la tentation d’un ailleurs masculin. La voix de soprano, de belle ampleur et à l’aigu épanoui, est émise avec une rondeur de bon aloi, un chant tout en nuances diverses permettant tant de décrire la jovialité certaine que la colère cinglante à l’heure de repousser la tentation, comme dans un fougueux “Come scoglio”. De sa voix de mezzo tout aussi expressive et agréablement ondulée Katherine Aitken (plaisante Carmen in loco l’an passé) fait entendre son timbre clair et sonore en Dorabella, énergique donnant davantage dans une candeur et une frivolité si bien restituées qu’il n’y a pas de surprise à voir cet oisillon un peu volage céder en premier à la tentation de l’inconstance. Barbara Cole Walton est enfin (côté féminin) une Despina fort enjouée, donnant dans la légèreté autant vocale que morale, avec sa voix de soprano fleurie prenant un malin et espiègle plaisir à vanter les mérites de la vanité et de la tromperie. Son jeu de scène porte à rire à maintes reprises, comme lorsqu’il s’agit de se grimer en médecin façon “Doc” de Retour vers le Futur pour ranimer les deux amants faussement mourants, ou de s’habiller d’une perruque grotesque pour jouer les notaires de (mauvaise) fortune.
De cet ensemble féminin plein d’allant, les deux amants constituent un pendant tout aussi complice. Huw Ynyr prête à Ferrando sa voix globalement agréable à l’écoute (même si l’aigu se fait parfois court), avec une volonté incessante de polir le phrasé des plus belles intonations, à renfort notamment de soyeuses demi-teintes venant notamment lustrer l'heure amoureuse tout en sensibilité. Jevan McAuley est un irréprochable Guglielmo, avec un timbre à la clarté homogène sur une large ampleur de tessiture. Le phrasé est coloré, l’émission d’une belle rondeur, et ce personnage sait se faire aussi noble lorsqu’il parle d’amour véritable que folâtre lorsqu’il s’agit de jouer avec le feu des sentiments. Enfin, le Don Alfonso de Matthew Hargreaves remplit pleinement son rôle de fauteur de trouble amoureux, avec un instrument de baryton-basse bien charnu projeté avec une aisance certaine. L’énergie déployée sur scène ne faiblit jamais chez ce personnage au risible cynisme, avec un “Cosi fan tutte” déclamé avec la bouffonne fierté de rigueur.
Après 2h15 d’un spectacle empli de dynamisme, où rire et tendresse savent faire bon ménage, la chaude ovation d’une grange comble et comblée vient conclure cette performance où triomphe la fidélité, celle des personnages mais aussi celle d’une troupe plus que jamais chez elle sur les bords de la Vézère.