Gala d’opéra à la Pointe des Poulains de Belle-Île-en-Mer
La falaise de la Pointe des Poulains qui domine la demeure de la comédienne Sarah Bernhardt se transforme le temps d’une soirée en scène lyrique pour un récital réunissant artistes jeunes et confirmés venus sur l’île pour suivre la master-classe proposée par le Festival.
Le format ad libitum comme l’appréciait le fondateur Richard Cowan ne détaille pas les morceaux interprétés et c’est Philip Walsh, directeur du Festival, qui présente au fur et à mesure du concert ce programme surprise constitué d’airs, duos, trio, ensemble, extraits d’opéras de Mozart (Don Giovanni, Le Directeur de théâtre, Zaïde, La Flûte enchantée, La Clémence de Titus, Les Noces de Figaro, Cosi fan tutte, Idoménée et L’Enlèvement au Sérail), répertoire exigeant par sa précision esthétique, nécessitant un cantabile impeccable, des coloratures précises et une palette de couleurs variée, d’autant plus que les voix non amplifiées ne bénéficient d’aucune réverbération avantageuse. Chaque chanteur incarne les différents personnages des opéras mozartiens avec conviction même s’ils ne présentent pas tous la même assurance selon leur niveau de professionnalisme.
C’est à deux jeunes artistes que revient l’honneur d’ouvrir le concert avec “La ci darem la mano” (Don Giovanni). La soprano belge Sara Barakat d’une voix claire et bien projetée incarne une Zerlina séductrice et souriante. Le baryton colombien Carlos Felipe Cerchiaro lui donne la réplique offrant une prestation juste et appliquée, à la diction précise. Il revient par la suite pour un autre duo, celui de Papageno avec Pamina confirmant le soin qu’il porte pour marier sa voix avec celle de sa partenaire.
Sharon Tadmor enchaîne avec un air du Directeur de théâtre. La voix de la soprano belge se déploie avec souplesse, des aigus faciles et un phrasé toujours bien pensé, agrémenté de quelques coloratures pour interpréter un personnage bien plus tourmenté que celui de l’Amour qu’elle interprète dans Orphée et Eurydice (l’opéra représenté cette année). Sa deuxième intervention, en Reine de la nuit, la met davantage en difficulté. Les changements de registres restent fluides comme les vocalises mais les extrêmes aigus trop serrés entraînent de petits déraillements. Trop absorbée par la prouesse, elle en oublie quelque peu l’éloquence.
C’est de nouveau un jeune artiste, déjà entendu dans Le Messie de Haendel lors du concert « Venez chanter » qui enchaîne avec Zaïde : Erwan Fosset offre une prestation impliquée de sa voix de ténor énergique avec une accroche solide lui permettant un phrasé précis (même si certains aigus se tendent dans les vocalises), convenant bien au rôle du prisonnier Gomatz, viril et déterminé.
Lui succède la soprano Maria Koroleva. Déjà remarquée dans son rôle d’Eurydice, elle confirme les qualités d’une voix expressive au timbre clair et lumineux utilisant la souplesse du phrasé, la délicatesse de ses nuances piano et l'emploi à bon escient de la messa di voce (conduite de voix) pour interpréter tout d’abord Pamina puis Suzanne d’une façon touchante et pleine de tendresse.
La mezzo-soprano américaine Blythe Gaissert prend le relais en interprétant le personnage de Sesto dans La Clémence de Titus. La voix pure, puissante au timbre rond dans le registre medium-grave, bien projetée avec un vibrato prononcé dans les aigus, des couleurs diversifiées selon les registres, servent bien ce personnage tourmenté d’avoir trahi l’empereur Titus.
Puis c’est au tour du baryton ukrainien Igor Mostovoi d’entrer en scène pour interpréter d’une voix vibrante et nuancée la sérénade de Don Giovanni “Deh vieni alla finestra”. Par la suite, il s’approprie de façon tout aussi convaincante le rôle de Guglielmo (Cosi fan tutte) pour une des pages les plus brillantes du répertoire mozartien “Rivolgete a lui lo sguardo”. La voix est brillante, la prononciation précise et il fait preuve de souplesse dans l’ornementation.
Un concert Mozart ne serait pas le même sans Chérubin et ici même ses deux airs. Le “Non so più” revient à la jeune mezzo française Orana Ripaux. Sa voix veloutée dotée d’un léger vibrato, aux aigus perlés, sa belle musicalité et le soin apporté au texte font frémir le public. Le deuxième air “Voi che sapete” est chanté par Serena Pérez. Sa voix ample de mezzo a de chaudes couleurs et une belle rondeur, donnant au personnage une allure plus exaltée que candide (peut-être une réminiscence de son interprétation d’Orphée).
A l’aise scéniquement, elle se joint à Jazmin Black Grollemund pour une version décalée (avec téléphones portables) du duo extrait de Cosi fan tutte “Prendero quel brunettino”, déclenchant les rires du public. Tout sourire, la soprano possède une voix ample, nuancée aux aigus épanouis. Cette belle alchimie entre voix de soprano et de mezzo se retrouve également dans le duo amoureux entre Servilia et Annio, extrait de La Clémence de Titus “Ah perdona al primo affetto” interprété par Maria Koroleva et Serena Pérez.
Le ténor britannique Alexander Bevan entame son air extrait de La Flûte enchantée avec une voix vibrante, bien projetée et un souci du phrasé constant. Le timbre n’est cependant pas assez nuancé et coloré pour exprimer le ressenti de Tamino, tombant amoureux à la vue du portrait de Pamina.
Enfin, Marley Jacobson (déjà soliste dans le concert Haendel) aborde de sa voix fraîche de jeune soprano au timbre clair et lumineux l’air de Blonde dans L’Enlèvement au Sérail. L’exercice est un peu périlleux pour la voix qui présente encore quelques fragilités au niveau de l’accroche et de la conduite de la ligne mélodique pour interpréter cet air où l’héroïne fait preuve d’une certaine véhémence pour combattre les avances d’Osmin.
Pour conclure ce concert, les voix de Jazmin Black Grollemund et Blythe Gaissert se rejoignent dans une belle harmonie, soutenue par les graves d’Igor Mostovoi pour le trio “Soave sia il vento” extrait de Cosi fan tutte, vent suave qui aurait été fort apprécié en cette journée caniculaire !
Philip Walsh remercie l’ensemble des chanteurs sans oublier les pianistes accompagnateurs pour leur belle complicité et le plaisir de travailler ensemble : David Jackson avec un jeu varié mais précis dans les tempi et les nuances, Joyce Fieldsend en accompagnatrice de classes de chant. Fier des Jeunes Artistes, ces derniers tous réunis interprètent le chœur extrait d’Idoménée “Placido e il mar, andiamo!” (la mer est calme, allons-y). Après de longs et chaleureux applaudissements, le public se dirige vers la sortie tout en admirant le coucher du soleil se reflétant sur un océan mordoré, d’un calme absolu.