L'Été Musical à Dinan ouvert par Karine Deshayes, marraine de son Festival
Le Théâtre des Jacobins, que la cantatrice connaît bien pour s’y être déjà produite, devient un écrin pour le programme proposé ce soir, composé de mélodies et airs d’opéras de Berlioz, Gounod, Saint-Saëns, Massenet, Duparc, Godard pour le répertoire français, Bellini et Rossini pour l’italien. L’acoustique en apparence sèche révèle en fait le caractère intimiste donné à ce programme et par ce trio constitué, permettant de tout entendre, favorisant une osmose entre les musiciens et engendrant une écoute particulière côté public.
Dès les premières notes de L’Invitation au voyage (Duparc), le pianiste installe un temps suspendu en demi-teintes d’où émerge le chant calme au timbre voluptueux de la chanteuse. Un chant tout en nuance, d’une grande subtilité pour rendre ces mélodies intelligibles et émouvantes. L’absence de tout texte joint au programme et de toute présentation de la part des artistes invite à se concentrer sur la limpidité du chant découlant d’un doux tapis pianistique qui permet de saisir tous les mots des textes. Cette fluidité fait en partie écho au thème de la rêverie plus ou moins mélancolique présente dans les premières mélodies (mais ne permettant pas un dramatisme affirmé). Ce souci d’élégance partagé avec ces deux compères instaure un climat envoûtant aux sonorités luxuriantes lorsque le violoncelle marie son timbre sombre à celui, mordoré, de la chanteuse.
L’aura qui émane de la chanteuse pleinement à l’écoute de son pianiste et concentrée sur son propre chant provoque une réaction surprenante du public : aucun applaudissement jusqu’à l’entrée sur scène du violoncelliste (pour l’Elégie de Jules Massenet, troisième pièce du récital) et ces applaudissements resteront peu fournis durant la première partie du récital. Il faudra attendre la Canzonetta spagnuola (Rossini) interprétée avec malice et coquetterie et son accelerando maîtrisé avec brio par le pianiste, servant de transition entre les mélodies françaises et les grands airs d’opéra pour faire éclore la joie du public, sortant alors de son hypnose.
Dans la partie consacrée aux airs d’opéra, la virtuosité laisse alors éclater toute l’ampleur de sa palette vocale et de ses capacités dramatiques de tragédienne comme dans l’air de Sapho (Gounod), "Ô ma lyre immortelle". Avec une expression juste autant que profonde de la douleur et du désespoir qui n’aurait pas déplu à Berlioz (cet air suscita son admiration), elle déploie des graves éloquents et des aigus puissants tout en gardant une ligne de chant appuyée sur un souffle parfaitement maîtrisé, utilisant toute la tessiture avec la même homogénéité pour ce rôle périlleux par son ambitus hors du commun. Ses derniers aigus comme une imprécation ultime, touchent en plein cœur : « Je vais dormir pour toujours dans la mer. »
C’est avec Rossini que s'achève le programme dans un feu d’artifice vocal sur l’air de Semiramide, "Bel raggio lusinghier". Avec sensibilité, le violoncelliste François Robin contribue à installer le climat mystérieux et suspensif de plusieurs de ces mélodies. Le timbre de son instrument se substitue particulièrement bien à celui de la voix de ténor, notamment dans la Berceuse, extraite de l’opéra Jocelyn (Benjamin Godard) pour laquelle cette page fut originellement écrite. Il étaie le programme de deux pages célèbres pour son instrument, L’Élégie de Gabriel Fauré et Le Cygne de Camille Saint-Saëns, interprétées avec lyrisme et mélancolie.
Au fil du concert, par leur écoute complice et leur complémentarité poétique, les musiciens tissent une toile sonore dans laquelle l’auditeur s’abandonne à un rêve éveillé. Après avoir dit son émotion de se retrouver à Dinan sur cette scène et remercié les organisateurs et bénévoles du Festival, Karine Deshayes propose en bis Après un rêve de Gabriel Fauré (le même choix que celui fait la veille par sa collègue Véronique Gens, Sur la Route de Cézanne) « pour nous préparer à une bonne nuit » dit-elle, refermant avec douceur et mélancolie ce voyage enchanté, enfin ovationné du public.