Récital amoureux d’Eugénie Joneau au Festival Radio France à Montpellier
La plupart des morceaux proposés ce midi par Eugénie Joneau et son accompagnateur Florent Lattuga sont des pièces peu connues, sauf une. La Habanera de Carmen de Bizet. Eugénie Joneau peut y déployer toute son expressivité, servie par un accompagnement délié au piano dont les fins de phrases résonnent comme un écho à son chant. La voix est ronde, avec un phrasé long et gourmand qui reste en bouche. Elle s’amuse avec le texte. Sur son dernier « prends garde à toi », elle attaque une note tenue à mi-voix et l’amplifie. Le public l’applaudit à tout rompre.
Le programme met sinon à l’honneur un voyage sentimental sur des sentiers bien plus rare, avec les anglais Benjamin Britten et Frank Bridge, les espagnols Manuel de Falla et Ruperto Chapí, les français Bizet et Debussy, mais aussi le compositeur et poète contemporain Jean-Baptiste Robin, dont Eugénie Joneau interprète les Poèmes de l’aube et de la nuit, dans une version révisée et donc une création mondiale. Florent Lattuga pose avec ferveur et sensibilité les accords de cette musique rêveuse qui rappelle Claude Debussy. Il aura l’occasion d’illustrer son talent de soliste sur le morceau « Poisson d’argent », tiré des Images pour piano du même Debussy, avec un jeu expressif, un toucher tantôt perlé et aquatique, tantôt sec et bondissant.
Le récital commence bien sûr par l’Angleterre -conformément au thème de cette édition 2022 du Festival de Radio France : So british. Les Cabaret songs de Benjamin Britten, sur des rythmes de swing ou de jazz, permettent à Eugénie Joneau de jouer sur toute l’amplitude de sa voix, de l’aigu vibré et puissant au grave poitriné, qui rappelle presque une voix de blues dans ce registre. Elle glisse avec facilité de l’un à l’autre. Là aussi, elle s’amuse, campe ses personnages avec de grands gestes de diva. À la fin d’un morceau, mimant un policier qui contrôle la circulation, elle sort un sifflet de sa poche et crie à son pianiste : « faster! » (plus vite !).
Le voyage amoureux se conclut en Espagne, occasion cette fois pour la chanteuse de briller par l'agilité vocale des trilles et des gruppetti (groupements de notes), avec passion, d’une voix au médium plein et coloré, étiré par un legato sans failles. Mais elle sait aussi affiner cette richesse harmonique, conduisant des aigus précis atténués en fin de phrase.
Le public ravi en redemande. Il aura deux bis (dont un air du Candide de Leonard Bernstein) chantés avec la même fougue et le même ton joueur démontrés durant le récital.