Michael Fabiano au Verbier Festival, un joker qui fait grand bruit
Faisant là un rapide passage en Suisse entre deux représentations madrilènes de Nabucco, le jeune ténor américain vient avec gourmandise s’approprier le programme des réjouissances établi pour Freddie DeTommaso qui maintient pour l'heure sa présence dans le Bal Masqué programmé en dernière semaine de cette édition 2022 du Verbier Festival (compte-rendu à suivre sur Ôlyrix). Aux mélodies et airs de Tosti, Puccini et Verdi annoncées sur le programme initial, l’artiste américain rajoute toutefois quelques-uns de ces airs qu’il prend un plaisir si évident et naturel à chanter, tel l’inévitable Nessun Dorma, le Lamento de L'Arlesiana de Cilea, ou encore le fougueux “Ma se m'è forza perderti” issu de ce Bal Masqué précisément attendu sur les hauteurs du Valais.
Un récital au programme riche donc, qui donne d’abord au récent Cavaradossi parisien l’occasion de faire valoir toute la puissance de son timbre dans ces fameuses mélodies de Tosti que sont “L’alba separa dalla luce l’ombra”, et “L’ultima Canzone”. Ce dernier air est ici chanté avec l’énergie d’un désespoir amoureux rendu d’autant plus vif par l’émission (très) sonore d’une voix aux moyens qui, d’emblée, impressionnent et saisissent. Et ce d’autant plus dans la petite église de Verbier, un cadre intimiste dans lequel l’artiste ne restreint pas le potentiel de son instrument, loin s’en faut.
Après avoir incarné un Mario habité par un profond tourment, au regard exorbité (“E lucevan le stelle”), viennent ces mélodies de Puccini également, “Terra e mare” et “Menti all’aviso”, où la voix se fait plus que jamais sonore et enflammée, le chanteur se faisant aussi un récitant appliqué, avec un phrasé soigné où les mezza voce, au regard de la puissance déployée jusqu’alors, passent presque pour des chuchotements. Que de puissance et de robustesse d’émission, toujours, dans ce vibrant “Torna ai felici di” porté la ferveur d’une voix portant loin et fort la flamme d’une nostalgique douleur. Le ténor, sur qui le poids de l’effort n’a visiblement pas d‘emprise, se fait ensuite moins dolent qu’héroïque en abordant Verdi, dans Le Corsaire d’abord puis Luisa Miller. Là, dans ce Rodolfo qu’il dit être “son préféré”, les chevaux du moteur vocal sont définitivement lâchés et, sur un fil fortissimo qui jamais ne se rompt, tout n’est que colère habitée, détermination dans le regard, et ébullition dans la déclamation. L’auditoire en est saisi et quelques-uns, face à cette éruption de décibels, en viennent à se boucher les oreilles. Mais ils ne sont pas les derniers à applaudir...
Et puisque ce récital en matinée est définitivement placé sous le signe d’une sonorité débridée, le ténor, avec ses propres ajouts au programme, joue plus que jamais d’endurance vocale (mais il a le souffle pour) en incarnant Riccardo, Federico, puis Calaf, dont le grand air culmine en un “Vincerò” propre à hérisser le poil et à faire vibrer les tympans. Là, comme partout avant, la quête d’une force dramatique et l’énergie mise à incarner les personnages sont indéniables, même si cette générosité de tous les instants prend souvent le pas sur la recherche d’une sensibilité plus subtile et nuancée. Guère décontenancé par se changement de partenaire de dernière minute (avec lequel il a eu à peine une journée de répétition), l’impeccable pianiste Jonathan Papp parvient à se montrer complice et parfait compagnon de navigation dans cette croisière musicale faisant voyager des côtes toscanes jusqu’à la baie de Naples. Le jeu sait se faire délicat et passionné, avec un toucher tout en maîtrise et en expressivité, mais il sait aussi se mettre au diapason de la ferveur vocale environnante par un jeu bien plus appuyé au forte subito nourri par le poids de mains aussi fermes dans leurs appuis qu’agiles dans leurs déplacements. Pour un duo formé en si peu de temps, une belle complémentarité se dégage en tout cas, s’exprimant aussi par des échanges de regards d’autant plus rieurs à l’heure de saluer le public qui se lève pour en redemander. Et qui obtient d’entendre “Core 'ngrato” interprété dans un élan de déchirement plein d’une intensité sonore qui coupe définitivement le souffle du public, mais certainement pas celui d’un artiste qui reçoit finalement une chaude ovation.