Riccardo Muti referme le Festival L'Offrande Musicale au Sanctuaire de Lourdes
Le lieu, l'installation, la musique et son interprétation : tout concourt incontestablement à impressionner l'assistance de fidèles réunis ici par l'amour de la musique, religieuse bien entendu (Magnificat de Vivaldi, Stabat Mater et Te Deum de Verdi, Ave verum corpus de Mozart mais de celui-ci également un Concerto pour cor). À ces pièces s'adjoignent même des chants liturgiques interprétés par le Chœur de l'Opéra national d'Ukraine (avec des sons de voix pleins et parfois typiquement gutturaux, avant de se réunir avec les Chœurs Cherubini et Cremona antica), les touchantes solistes Svitlana Semenyshyna et la petite Milana Lomanova mais aussi un chant religieux traditionnel basque par la voix typique de Beñat Achiary (qui surprend le public en chantant a cappella, depuis l'intérieur de la basilique inférieure) et enfin la réunion des Chanteurs Pyrénéens de Tarbes et des Chanteurs Montagnards de Lourdes (avec de puissantes sonorités polyphoniques à la ferveur populaire) : un pèlerinage artistique, un sacré programme pour un programme sacrément cosmopolite et œcuménique.
Ces dernières et diverses pièces sont certes interprétées avec une technique de chant assez différente de celle du chant lyrique, mais les voix s'y déploient à travers un large ambitus et jusqu'aux notes aiguës (notamment par la technique du belting également utilisée à Broadway, permettant de monter en ouvrant les voyelles avec puissance). Les émotions du public sont ainsi déjà vivifiées et le dialogue s'installe dans la richesse avec la tradition vocale du bel canto.
Le Chœur Cherubini est homogène dans le timbre des parties mélodiques où la musique devient plus détendue mais bien dynamique, rapide et joyeuse, avec de fortes intensités chez Verdi. Les changements brusques de nuances et de couleurs des voix se retrouvent avant tout dans l'écriture de Vivaldi, qui contraste entièrement avec les pièces se succédant avec de forts clairs-obscurs que les Chœurs et le jeune Orchestre Cherubini soulignent et transmettent avec une maîtrise stylistique et interprétative.
La soprano Arianna Vendittelli impressionne l'auditeur avec son timbre chaud et enveloppant. Bien que la voix soit étendue, le timbre reste d'une homogénéité plutôt sombre, y compris même sur les trilles et les agilités (tout comme sur les longs phrasés et à travers les mélodies plus dramatiques). Le chant reste intense mais aussi brillant.
La voix de contralto de Margherita Maria Sala est tout aussi remarquée, dès les premières notes puissantes, affichant un timbre fascinant, bien soutenu et se déployant vers des harmoniques riches. Ses ornements baroques sont choisis avec goût et exécutés avec rigueur et élégance, alliant l'ancrage terrestre et le raffinement aérien.
Tout aussi raffinée est la performance du corniste Felix Klieser, qui, dans le Concerto n° 1 de Mozart, démontre que la musique transcende les âmes et les corps : ce message est d'autant plus éloquent, en ce lieu, et devant la prestation de cet artiste virtuose qui joue de son instrument avec les pieds, littéralement. Privé de membres supérieurs mais nullement de musicalité, la digitalité de ses orteils s'allie à l'excellence de sa technique de respiration, faisant plus qu'égaler le jeu d'un instrumentiste à la technique plus traditionnelle.
Le chef Muti dirige l'Orchestre Cherubini qu'il a fondé en 2004 dans ce même esprit de lancer de jeunes carrières à travers l'harmonie italienne et européenne : les cordes et les bois font particulièrement corps mais l'ensemble des instrumentistes propose une technique de jeu professionnelle au service de l'énergie orchestrale débordante. Le symphonique se fait ainsi constamment vigoureux et lyrique. L'alliance de précision et de dévouement qui caractérise le métier et la passion de ce chef porte les artistes et la musique à la hauteur spirituelle de ces lieux.
L'Ave verum de Mozart chanté par tous les artistes réunis, et avec les Chœurs d'enfants de l'école de Lourdes et de Tarbes s'impose en point d'orgue de la soirée et comme un sommet d'émotion : une procession musicale qui fait se lever le public, pour acclamer les artistes, le chef d'orchestre Riccardo Muti et ce concert effectivement "hors norme".