Les rives du Nil en concert au Louvre
Toujours aussi passionné par l’exploration des chemins atypiques et audacieux, Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus -qui vient de fêter les 30 ans de sa création-, convient l’auditeur à un voyage musical insolite entre Nil et Méditerranée alliant musique baroque et musique du Moyen-Orient. Trois éminents instrumentistes d’origine orientale sont invités à participer au concert, John Samy Nasif au nay (flûte très ancienne faite de roseau), Ersoj Kazimov (darbuka et riq, percussions du Moyen-Orient) et Mohamed Abozekry, joueur de oud, par ailleurs compositeur et chanteur.
Au plan vocal, honneur est fait à la jeune contralto italienne Margherita Maria Sala qui poursuit une collaboration fructueuse avec le chef d’orchestre. Dotée d’une authentique voix de contralto aux teintes sombres et puissantes, large et homogène sur toute sa tessiture, d’un aigu charnu, elle chante Vivaldi sans aucune emphase, libre dans la vocalise fort en place. Elle sait indéniablement créer une ambiance et pleinement varier ses interventions qu’elles soient dynamiques ou plus recueillies. Ces qualités expressives servent à parer de justes accents Oblivion soave tiré du Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi ou plus encore, le célèbre Cum dederit extrait du psaume Nisi Dominus de Vivaldi (emmenant le programme sur toutes les rives de la Méditerranée, en l'occurrence l'Italie et Israël). Les longues tenues de souffle qu’elle porte à la limite de l’évanescence apparaissent exemplaires et captivent le public qui lui réserve en cours de concert une ovation méritée.
Ces instants de bonheur se poursuivent avec un chant chypriote anonyme, To Yasemi (Le Jasmin) avec l’accompagnement captivant de Mohamed Abozekry au oud. Les senteurs entêtantes du Jasmin semblent comme émaner de l’interprétation inspirée des deux artistes. Dans un arrangement de Jean-Christophe Spinosi lui-même, L’Eté des Quatre saisons de Vivaldi mélange une nouvelle fois les musiciens de l’Ensemble Matheus et les trois instrumentistes invités. Depuis son violon, Jean-Christophe Spinosi dirige le célèbre morceau avec cette frénésie et cette fièvre permanente qui semblent devoir ne jamais le quitter. Pour autant, la précision s’impose et s’applique à la totalité des musiciens en présence, ce sur la totalité du programme du concert.
LEnsemble Matheus, dirigé par Jean -Christophe Spinosi, a clôturé de façon magnifique la saison de lAuditorium du Musée du Louvre avec « Du Nil à la Méditerranée » , un programme qui mêle subtilement musiques traditionnelles et baroques. @EnsembleMatheus pic.twitter.com/bK301Hb1d4
— Yann Ollivier (@YannOllivier) 2 juillet 2022
Mohamed Abozekry et ses confrères interprètent par ailleurs un morceau composé par ce dernier, Karkadé, mélopée presque voluptueuse, puis un air du disque Escalay du compositeur Hamza El Din, père contemporain de la musique nubienne actuelle : un jeune homme revenu dans son pays de naissance découvre avec tristesse son village de Nubie recouvert par les eaux du Lac Nasser et sa mélancolie s’exprime depuis le Haut Barrage d’Assouan. L’enthousiasme du public, qui occupe pour cette soirée la totalité de l’Auditorium, est manifeste devant ces pages musicales à la fois fascinantes et entêtantes portant l’Astre d’Orient (dans les échos de la divine Oum Kalsoum et faisant très heureusement fi des frontières et des genres).
La programmation de la saison 2022/2023 s’avère tout riche que la période qui se termine, annonçant la venue entre autres de Leonardo García Alarcón avec sa Cappella Mediterranea et le Chœur accentus en octobre pour une soirée intitulée Splendeurs Romaines, de Julien Chauvin, Giovanni Antonini, Vincent Dumestre avec Adèle Charvet ou encore Louis-Noël Bestion de Camboulas et l’Ensemble Les Surprises pour deux Te Deum de Marc-Antoine Charpentier et Henry Desmarest (programme donné le même soir que ce concert du Nil, au Potager du Roi à Versailles : compte-rendu à retrouver très prochainement sur Ôlyrix).