De l’autre côté du mur : la comédie musicale traverse les frontières à Massy
En résonance directe avec ce message d’humanité, la scène de l’Opéra de Massy accueille en brève première partie huit jeunes réfugiés ougandais, membres du chœur Voix sans frontières. Un peu émus par ce tout premier concert public, ces adolescents victimes de la LRA, arrivés en France depuis seulement 4 jours, partagent en dansant trois chants a cappella ou accompagnés par l'une des chanteuses au tambour : l’émouvant chant sud-africain Senzeni Na? (Qu’avons-nous fait ?!), le gospel Kumbaya my Lord et un chant traditionnel africain dansé. Manifestant un travail d’ensemble précis, et dans une indéniable communion, le groupe est chaleureusement salué par le public, reconnaissant ainsi leur talent et leur courage.
Les spectateurs ne sont pas moins impressionnés par la production qui suit : la comédie musicale, composée de 15 chansons, De l’autre côté du mur. Dans cette histoire, des adolescents se retrouvent lors d'un camp d'été musical dirigé par Lucille, bienveillante professeure de chant (et discrète quant à ses origines). Celle-ci se voit confier la haute responsabilité de préparer sa jeune chorale pour animer en musique l'inauguration du tout nouveau Centre culturel de la ville par Monsieur le Maire, homme tiraillé entre ses responsabilités et ses valeurs. Alors qu'ils ont appris une chanson héritée des ancêtres de Lucile (l'imaginaire peuple "Miourki"), qu'eux seuls pensent connaître, les enfants entendent, de l'autre côté du mur qui les sépare d'une dangereuse friche industrielle, la même mélodie à la clarinette. Intrigués, ils franchissent le pas, découvrent et rencontrent de jeunes réfugiés installés dans une ancienne usine. Touchés par leur situation, ils leur prêtent les instruments de l'école de musique et finissent, malgré quelques péripéties, par jouer tous ensemble lors du concert inaugural du Centre culturel.
Le livret de Jeanne Perruchon privilégie la clarté et l’accessibilité nécessaire pour le conte (mais dans une langue peu variée, au risque d'amoindrir l’intérêt de l’auditeur). La musique d’Étienne Perruchon (tristement disparu au printemps 2019) propose de charmantes mélodies, soutenues par des contre-chants délicats et une orchestration plantant avec efficacité les décors sonores de l’histoire. La mise en scène signée Loïc Auffret, articule intelligemment le plateau en différents espaces (sans pour autant construire de frontières en eux), notamment par l’utilisation de mobiliers et accessoires mobiles, de rideaux de tulle noir et de quelques projections de dessins en noir et blanc : tout est fluide, presque transparent et la compréhension des différents tableaux est évidente.
En fond de scène et à travers un rideau de tulle, les 38 élèves CHAM (Classes à horaires aménagés musique), habillés de noir avec un nœud papillon comme petite touche de couleur chantent avec les 27 jeunes interprètes du "Chœur de l’Avant-Scène" du CRÉA (dirigés par Isild Manac'h) qui jouent les enfants du camp. La distance entre ces deux phalanges entraîne quelques décalages et imprécisions, malgré un important effort d'écoute et le relais de direction assuré par Sharleyne Petit. L'ensemble déploie ainsi des timbres assez sûrs avec aisance scénique.
Les 24 jeunes instrumentistes à vent de l’Orchestre à l’Ecole du Collège les Maillettes de Moissy-Cramayel, élèves de 4ème dirigés par Maxime Lemasson, entraînent le public dans un joyeux « Chant Miourki », aux couleurs d’Europe de l’Est, sans aucune partition et avec une appréciable aisance scénique.
Les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France leur font l'honneur de les laisser jouer alors seuls, montrant le reste du temps l'étendue de leurs qualités professionnelles (aussi bien en ensemble de solistes qu'en phalange pour l'accompagnement soigné et subtil). Il faut néanmoins toute l’énergie et l’attention de la cheffe Lucie Leguay pour trouver l’équilibre entre les cordes et l’harmonie, trop présente lors de l’ouverture, et limiter les décalages entre le plateau, un rien pressé, et une fosse plus tranquille.
Les deux adultes de l’histoire sont également interprétés par des musiciens professionnels. La mezzo-soprano Béatrice Fontaine, en bienveillante professeur de chant Lucille, timbre plus ou moins sa voix selon les registres. Elle fait ainsi entendre une fragilité, qui se révèle touchante, en cohérence avec le traitement un rien forcé de la figure maternelle de son personnage. Le Maire est interprété avec prestance et élégance par le baryton Romain Dayez, au timbre chaleureux et affirmé, avec une pointe de vaillance appréciable.
Après un fort touchant tutti final « Au-delà du mur », la salle se lève pour saluer l’ensemble des artistes, avec un enthousiasme partagé de part et d’autre du rideau de scène.