Rencontre insolite et pittoresque entre musique et danse au TCE
Ce concert au programme composite, consacré aux œuvres vocales et de musique de chambre de Dvořák, Chausson, Duparc, Turina et Ravel, guide le public dans un voyage musical à travers l’Europe de la fin du XIXe siècle. Le voyage commence en Bohême, avec la Dumka du deuxième quintette avec piano de Dvořák : la touche délicate du pianiste Frank Braley rencontre les sonorités graves et soutenues de l’altiste Laurent Marfaing, accompagné par les autres instrumentistes du Quatuor Modigliani (Amaury Coeytaux et Loic Rio au violon, François Kieffer au violoncelle). L’intensité des modes de jeu des instrumentistes, l’écoute active et la large palette de couleurs et de nuances, assurent un dialogue fluide et dynamique entre les voix des instruments.
Le Quatuor Modigliani passe le relais à la soprano Cyrielle Ndjiki Nya, accompagnée par Frank Braley au piano (étaient initialement au programme la mezzo-soprano Marianne Crebassa et le pianiste Nicholas Angelich) pour les mélodies françaises de Chausson et Duparc. La soprano se distingue dès la première mélodie (Serre chaude) par son timbre chaud et soutenu dans les graves, qui met en valeur la large extension de sa voix et son articulation. La projection est assurée, autant que les phrasés musicaux, bien que la voix apparaisse parfois comme essoufflée. La Chanson perpétuelle de Chausson réunit la voix et le piano avec le quatuor à cordes qui tantôt s’écartent du chant dans un tremolo mystérieux, tantôt se fondent avec elle en portant le thème au violon ou au violoncelle, jusqu’à se déployer dans un unisson passionné.
Le voyage se poursuit en Espagne avec La oración del torero de Turina, courte œuvre pour quatuor à cordes qui reprend les couleurs de la musique populaire espagnole et offre au public un moment d’écoute particulièrement jouissif, tout en faisant office d’introduction au Quatuor en fa de Ravel, œuvre au cœur de la rencontre tant attendue entre danse et musique.
Vincent Chaillet, Premier Danseur de l’Opéra national de Paris, et Agnès Letestu, Danseuse Étoile de l’Opéra de Paris, font une entrée dynamique dès les premières notes du quatuor de Ravel. Le Quatuor Modigliani, un peu en retrait en fond de scène, accompagne la chorégraphie de Florent Melac en demi-pointes, qui semble se détacher discrètement de l’imaginaire du ballet classique par des marches et des roulements au sol, et ponctue la musique par des entrées et des sorties de scène parfois étonnantes (pendant les mouvements du Quatuor de Ravel, pendant de longs moments parfois alors qu'ils venaient de rentrer, parfois pour seulement quelques mesures). Bien que le côtoiement entre les deux arts se fasse avec une certaine distance (malgré la proximité des artistes sur scène), et que le contact –ne serait-ce que visuel– entre musiciens et danseurs soit quasi inexistant, la danse et la musique offrent aux spectateurs des images élégantes, aux couleurs bucoliques.
Le public, apaisé par ce voyage et fasciné par la poésie de la musique et de la danse réunies, salue longuement les artistes qui partagent la scène, ce soir-là, pour la première fois.