Le Malade imaginaire, ou Molière en pleine forme à 400 ans en Avignon
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, et Marc-Antoine Charpentier rassemblent à nouveau ici théâtre, danse et musique dans un spectacle d’un peu moins de quatre heures (mais qui passent très vite). Le metteur en scène Vincent Tavernier, assisté par Marie-Louise Duthoit, propose une version gaie, pleine de dynamisme et très comique. Le décor de Claire Niquet est simple, mais efficace : autour de silhouettes de maisons aux fenêtres illuminées le soir, la demeure centrale d’Argan se déplie pour révéler son intérieur (plus précisément le salon, où se déroule la plupart de l’histoire), et se replie également pendant le prologue et les intermèdes pour laisser place aux chanteurs et aux danseurs. Carlos Perez rajoute la petite touche de ses illuminations, donnant au public l’impression de voir filer progressivement la lumière du jour, venant de différents angles et avec différentes intensités. Le décor change une dernière fois lors de la scène finale, par une métamorphose suivant celle de ce malade imaginaire qui se transforme, ironiquement, en médecin.
Le prologue, plein d’énergie et de couleurs, annonce d’emblée le rythme de la pièce avec l’ambiance joyeuse et dynamique qui y règne. Une scène de Carnaval avec les costumes d’Erick Plaza-Cochet, plus exubérants et colorés les uns que les autres, est un défilé de masques d’animaux (âne, cerfs, singe), tandis qu’une marionnette géante représente le roi, qui danse parmi cette ménagerie et les bergers de la ville (danseurs agiles suivant la chorégraphie de Marie-Geneviève Massé, assistée par Olivier Collin).
Pierre-Guy Cluzeau donne vie à Argan, Le Malade imaginaire. Très expressif et convaincant du début à la fin, il montre aussi la fragilité et la candeur de son personnage, mais reste cependant très comique. Le jeu vif des comédiens donne globalement à l’œuvre le rythme nécessaire pour capter l’attention du public. Marie Loisel est ainsi vive d’esprit et insolente en Toinette, très complice avec Angélique incarnée par Juliette Malfray dont la voix chantée surprend et impressionne par son placement, tout comme le contrôle (pour chanter volontairement faux) d’Olivier Berhault en Cléante. Béline, la femme d’Argan, interprétée par Jeanne Bonenfant, montre l’intérêt tout pécuniaire qu’elle porte à son mari, mais tout en sachant le lui cacher (elle est particulièrement comique lorsqu’elle est surprise par son mari en train de célébrer sa prétendue mort). Béralde, le frère d’Argan, interprété par Laurent Prévôt se montre bienveillant. Quentin-Maya Boyé et Benoît Dallongeville (père et le fils Diafoirus), forment un duo désopilant, faisant rire de bon gré le public à plusieurs reprises. Nicolas Rivals en impose sur scène dans son rôle de docteur Purgon, et Gabrielle Godin-Duthoit joue l’attendrissante Louison.
Le chant et la danse prennent le relais des acteurs lors des intermèdes, s’appropriant pleinement la scène. Flore, incarnée par la soprano Axelle Fanyo, délecte le public avec sa voix chaude, d’une projection adaptée au style musical, avec aussi des aigus ronds et clairs (en plus du jeu d’actrice dénotant une grande aisance scénique). La mezzo Lucie Edel incarne la bergère Climène, montrant un timbre clair et captivant, ainsi qu’une diction tout à fait compréhensible. Flore Royer (Daphné), fait montre d’un timbre chaud, mais elle peine à se faire entendre face à ses collègues dans les ensembles. Dans son rôle de Tircis, le ténor malgache Blaise Rantoanina distille et corse une voix légère et bien timbrée, très à l’aise dans les médiums, mais un peu plus en danger lorsqu’il aborde les aigus. Le baryton Romain Dayez prête à Dorilas sa voix large, homogène et avec un bon soutien. Sa projection le met inévitablement en valeur dans les morceaux à plusieurs. Enfin, le baryton-basse Yannis François creuse une voix caverneuse mais faiblement vibrée (d’une diction toutefois compréhensible).
Les musiciens du Concert Spirituel contribuent eux aussi pleinement au dynamisme de ce spectacle. La direction musicale précise d’Hervé Niquet assure la synchronisation avec le plateau. Conservant le dynamisme des artistes littéralement jusqu’à la fin du spectacle, l’énergie de sa battue est évidente, même au moment des applaudissements, lorsqu’il dirige les révérences de l’orchestre.
Le public salue debout et pendant de longues minutes, aussi bien au parterre que dans les balcons, cette soirée et ses interprètes.