Leo Nucci est l’incarnation de Nabucco à Liège
Premier succès phénoménal du jeune Verdi, alors âgé de 29 ans, Nabucco regorge d’airs entrés dans la mémoire collective, au premier rang desquels le Chœur des esclaves (Va’ Pensiero) qui devint rapidement le symbole du nationalisme italien. Rarement donné, sa programmation constitue un événement. Pour cette production du Grand Théâtre de Liège, l’événement est d’autant plus grand que le rôle-titre est chanté par Leo Nucci, le Nabucco des temps modernes, référence incontestée et incontestable qui a déjà interprété l’ouvrage des centaines de fois (moins cependant que son autre rôle fétiche, Rigoletto, dont il décompte 510 représentations) !
Leo Nucci en roi tout puissant dans Nabucco (© Lorraine wauters / Opera royal de Wallonie)
Malgré cette habitude du rôle et ses 74 ans, il reçoit l’ovation qui accueille ses saluts avec une surprise et un ravissement d’enfant, preuve qu’il n’est toujours pas las du rôle. Le plaisir qu’il prend à jouer le vieillard sénile (lorsque le Roi tout puissant Nabucco est frappé par la foudre pour avoir blasphémé), démontre également que son enthousiasme n’est pas encore entamé. Sa prestation théâtrale impressionne lorsqu’il aborde l’air de la conversion de Nabucco. Vocalement, le rôle est très exigeant, convoquant une large palette de couleurs selon les états physiques et psychologiques du personnage (toute puissance, folie, pathétisme, supplication, dévotion, etc.). Leo Nucci s’acquitte de sa partition avec la subtilité de l’artiste qui a déjà essayé beaucoup de possibilités d’interprétation. Sa diction est travaillée et sa prosodie d’une précision rythmique démentielle, ce qui lui permet de tirer vers le haut le reste de la distribution et le chœur, parfois moins exacts en son absence. Puissant, il se permet de chanter de dos sans devenir inaudible pour autant. Son timbre n’est pas loin de définir celui d’un baryton verdien.
Leo Nucci en roi déchu dans Nabucco (© Lorraine wauters / Opera royal de Wallonie)
Le plaisir de jouer est aussi une caractéristique de Virginia Tola, interprète d’Abigaille, la grande méchante de l’histoire dont le sourire pervers place le personnage. Sa puissance vocale et son sens de la nuance seraient un ravissement si son timbre grinçant n’altérait son esthétique vocale. Son air final, au cours duquel son personnage se repend de ses fautes, est interprété avec un attendrissant mezzavocce. Le Grand-Prêtre Zaccaria bénéficie de la voix tonnante d’Orlin Anastassov. C’est à lui qu’incombe la responsabilité d’interpréter le premier grand air de l’opéra. Sa puissance et la profondeur de son timbre crédibilisent le personnage : il paraît logique que le peuple juif se lève derrière lui et lui accorde sa confiance. Un premier frisson parcourt l’assistance. S’il apparaît parfois en difficulté dans les graves, gêné par un souffle surabondant, il affiche un timbre resplendissant lorsqu’il place sa voix plus en fond de gorge, la couvrant ainsi légèrement et libérant sa pleine puissance tout en maîtrisant mieux son vibrato. Il conclut son intervention suivant le Chœur des esclaves d’un grave tenu et vibré prodigieux.
Orlin Anastassov dans Nabucco (© Lorraine wauters / Opera royal de Wallonie)
Le couple formé par Ismaele et Fenena, qui constitue le trait d’union entre juifs et assyriens, est de bonne facture. Giulio Pelligra dispose d’un timbre légèrement métallique, si spécifique des ténors italiens, qui sied tout à fait à l’œuvre et au personnage. Puissant, il couvre sans problème le chœur. Il semble toutefois parfois perdu sur scène, souffrant d’une raideur peu théâtrale. La Fenena de Na’ama Goldman est convaincante, sa voix claire et bien projetée lui permettant de s’acquitter sans heurt d’une partie principalement composée d’ensembles.
Avec un sens assumé du kitch, le Directeur de l’Opéra de Wallonie, Stefano Mazzonis di Pralafera, signe une mise en scène ne se départissant de son classicisme que par les décors qui touchent au symbolisme. Ainsi, les personnages sont costumés par Fernand Ruiz dans des tenues traditionnelles et arborent de larges barbes. Les solistes tendent à chanter alignés en avant-scène dans la plus pure tradition de l’opéra. Les décors d’Alexandre Heyraud, soutenus par les éclairages de Franco Marri, présentent les symboles forts de chaque acte : un fond de scène présentant une fresque art-déco composée de tubes en plastiques sur fond mauve représente le temple de Jérusalem, qui s’effondre à la fin du premier acte (après que des figurants costumés en soldats n’aient feint de taper dessus durant tout le -long- finale). Au cours d’un changement de décor dont la durée aurait probablement mérité une fermeture du rideau (évitant ainsi à Abigaille de faire de multiples allers-retours hésitants entre la scène et les coulisses), le palais de Nabucco, doté d’une statue qui se désagrège au moment du blasphème royal, apparaît. L'ajout de palmiers (peints en bleu) déplace ensuite l’action du premier tableau du troisième acte dans les jardins suspendus de Babylone. Enfin, lorsque le palais remonte dans les cintres (le dessous du décor, composé de sommaires planches de bois, faisant dès lors figure de ciel), une véritable étendue d’eau apparaît au centre de la scène, prolongée sur le rideau de fond de scène par des effets d’éclairage. C’est ainsi que la conversion de Nabucco se produit par une véritable ablution, et que le Chœur des esclaves est interprété par le chœur les pieds dans l’eau.
Choeur de l'Opéra royal de Wallonie chantant Va pensiero dans Nabucco (© Lorraine wauters / Opera royal de Wallonie)
Le chœur, véritable personnage disposant d’une présence scénique importante, alterne l’excellent (le finale de l’acte I, par exemple) avec des approximations dans la diction et dans le rythme, liant notamment au début de l’acte II (dans l'ensemble Che si vuol?) des notes qui gagneraient à être piquées. Plus généralement, ce défaut se retrouve, malgré de beaux moments de lyrisme, dans la direction, pourtant appliquée, du maestro Paolo Arrivabeni, qui peine parfois à insuffler l’énergie adéquate à son orchestre, dont la virtuosité n’est pas à blâmer (les solos de violoncelle et de hautbois sont à ce titre remarquables).