Monsieur Beaucaire promet une belle réouverture à l'Opéra Comique
En attendant la saison prochaine qui commencera en janvier prochain (une saison détaillée dans notre article à retrouver ici), l'Opéra Comique continue sa programmation Off, c'est-à-dire hors les murs. L'opérette romantique et comique en trois actes de Messager intitulée Monsieur Beaucaire fait l'événement à cheval sur ces deux programmations : d'abord parce qu'il s'agit d'une création radiophonique en partenariat avec France Culture donnée au studio 104 de la Maison de Radio France et parce que la diffusion de cet opéra aura lieu le 1er janvier 2017 à 21 heures. Cela signifie donc qu'il inaugurera la toute première soirée dans la saison de l'Opéra-Comique (qui se déroulera désormais de janvier à décembre). Nous souhaitons à l'Opéra Comique que cette œuvre trouve en France un succès comparable au triomphe rencontré par Messager de son vivant en Angleterre.
Le texte est celui d'un opéra comique avec une multiplication de jeux de mots et d'esprit dont certains tombent à pic quand d'autres tombent à plat, et que d'autres enfin suscitent le rire coupable d'une blague qui amuse tant elle est peu drôle... Il est ainsi question du barbier Beaucaire qui coupe les cheveux en quatre, des joueurs de carte qui ne souhaitent pas perdre leurs habits au jeu, des cartes cachées pour tricher dans le jeu entre le français et l'anglais et qui "passent la manche", des français qui bavardent sans cesse, d'une mort par pépin de raisin infectant l'appendice ou bien du cliché "Partir c'est mourir un peu" auquel est répondu "Oui, mais rester, ce serait vivre beaucoup, trop peut-être !"
C'est toutefois un spectacle passionnant que d'assister à un opéra radiophonique (avec l'ingénieure du son présente sur scène aux côtés des instrumentistes), et ce notamment dans une opérette qui alterne le parlé et le joué. En effet, les chanteurs peuvent ainsi montrer qu'ils savent placer leurs voix pour passer en radio, qu'ils jouent et lisent un texte de manière éloquente sans le soutien du regard des auditeurs. Quel amusement aussi que d'admirer le bruiteur qui illustre tous les sons de la pièce, perché sur une estrade avec sa petite porte qu'il ouvre et ferme suivant les entrées des personnages. Il dispose de tout l'attirail adéquat : papier pour ouvrir et parcourir des lettres, clochette pour sonner l'heure, jeu de cartes coupées, battues et abattues ainsi que pièces de monnaie s'entrechoquant pendant le jeu... Au moment des duels, on étouffe notre rire pour ne pas trop perturber l'enregistrement radiophonique tandis qu'il se saisit d'une épée et d'un sabre avec lesquels il semble se battre contre lui-même pour produire les heurts métalliques des armes.
L'histoire pourrait se résumer en un double déguisement : l'héritier du roi Louis XIV se rend en Angleterre sous l'identité du barbier Beaucaire pour s'amuser quelque peu avant de prendre la lourde charge de Régent de France. En bon séducteur, il jette son dévolu sur Lady Mary, la plus belle femme du royaume. Afin de l'approcher, il surprend le Duc de Wintersett en train de tricher et contraint celui-ci de l'introduire dans la Haute Société sous le second déguisement de Duc de Chateaurien. Il défait alors toute l'assemblée dans des duels oratoires ou à l'épée et se fait aimer par lady Mary, même lorsqu'il prétend n'être qu'un barbier. Le Régent peut ainsi rentrer en France avec cette femme dont l'amour est désintéressé.
La musique de Messager mêle à la fois la légèreté et la plus noble tradition française d'orchestre et de chœur inspirée de Charpentier, la douceur intimiste des mélodies de Gabriel Fauré avec l'orchestre wagnérien (Messager a d'ailleurs découvert Wagner dans un voyage avec son ami Gabriel Fauré, au retour duquel ils composèrent leurs Souvenirs de Bayreuth à quatre mains). Certes, il y a beaucoup de remplissage dans cette opérette et l'implication de l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Sébastien Rouland est d'autant plus remarquable. La musique est peu présente au début et elle multiplie allègrement les romances quelque peu banales sur le thème de la rose ou du papillon. Toutefois, une énergie irrigue la pompe du rythme en noires et croches par les cuivres et timbales qui savent accélérer dans de grands crescendos. Cette puissance répond à la beauté du mouvement des cordes, ainsi qu'au contrechant (seconde mélodie complémentaire) des cors puis des bois sur une ponctuation de harpe. L'aigre bien trouvé des flûtes alterne avec une chaleur emmitouflante des pizzicatos aux violoncelles et surtout aux contrebasses.
Incarnant Monsieur Beaucaire, le baryton Jean-François Lapointe commence par un parlé grave, snob, pincé, roulant ses R. Le texte lui demandant rapidement toute sa concentration, il oublie cet effet et reprend sa voix normale. Les accents sur les consonnes sifflantes et chuintantes qui marquent son articulation dans les salles de théâtre devraient demander un travail minutieux aux techniciens de Radio France pour en assurer la diffusion radio sans pics. Lorsqu'il passe du jeu au chant, c'est une belle surprise que d'entendre le timbre clair de sa voix, quoique les auditeurs devront rester attentifs pour comprendre qu'il s'agit du même personnage. Le début de ses phrases est assuré et la fin bien vibrée, ce qui laisse un milieu moins présent.
Jean-François Lapointe (© Opera national de Lorraine)
Son ami Philippe Molyneaux a la voix assurée du ténor Julien Behr, déployant de claires voyelles qui, de fait, passent très bien la fosse du public et les ondes de la radio. Sa prosodie est chaude dans l'articulation mais manque un peu de souffle, le contraignant à hacher ses phrases. Son parlé un peu brusqué rend compte de l'inquiétude dans laquelle le plonge la supercherie de son protégé déguisé en barbier.
La soprano Anne-Catherine Gillet joue une Lady Mary jalouse et maniérée (elle est décrite comme froide comme le marbre), avec une voix lancée, tendue et vibrée à l'extrême. Dans les débuts de l'œuvre, elle ne semble trouver de douceur qu'en voilant sa production vocale et non pas en allégeant la phrase. Toutefois, sa voix expressive atteint toute sa mesure lorsque la musique lui correspond et ses grands aigus sont l'acmé des superbes duos mélodiques offerts par Messager.
Lady Lucy est la soprano Jodie Devos. Elle joue avec grande conviction la fille jalouse, faussement prétentieuse lorsqu'elle se vexe avant de se pâmer et de tomber en amour. Tour à tour pimbêche et doucereuse, elle est glaciale puis immédiatement emportée dans une surarticulation. Son passage du jeu au chant étonne lui-aussi, découvrant une voix colorée avec un filet dans l'aigu mais qui trouve vite une ancre laryngée avec une vraie prononciation parigote d'Opéra-Comique.
Jodie Devos © DR
Le baryton-basse Jean Teitgen sait incarner un vil et prétentieux Duc de Winterset avec son timbre puissant, lorsqu'il joue comme lorsqu'il chante. S'il semble parfois noyer sa voix et conserver un regard triste, c'est sans doute pour mieux figurer ce personnage de tricheur puni.
Jean Teitgen (© DR)
Franck Leguérinel est Badger, une sorte de Capitaine Haddock multipliant les "Sacrebleu !". Il force sa voix de baryton pour mimer une prétention de matamore avant de se faire mielleux devant Beaucaire... Visiblement gêné et peu en voix ce soir, il joue avec plus de volume qu'il ne chante. Le Maître de cérémonie incarné par le comédien Pierre-Alain Leleu (habillé d'un kilt même pour la radio) est un délice. Sa voix de radio, placée, résonne sans effort dans un aigu sonore. Chacune de ses interventions est à la fois sérieuse et drôlatique à souhait. Le Chœur de Radio France préparé par Stéphane Petitjean prend pour sa part de l'ampleur à mesure que progresse la soirée, notamment dans les dialogues entre pupitres féminins et masculins qui trouvent un allant ou bien un pointé afin de marquer les rumeurs du bal.
Franck Leguérinel © Jef Rabillon
À vos agendas donc pour passer votre première soirée de l'année en compagnie de Monsieur Beaucaire !