Le charme et l’humour de Phryné à l’Opéra Comique
Œuvre brève (à peine une heure de musique), Phryné a pourtant des charmes à revendre. Composée en 1893 par Saint-Saëns maître de son art, cet opéra-comique est donné ici avec les récitatifs de Messager (qui s’inscrivent avec beaucoup de naturel dans la partition).
L’humour et la distance ironique de la musique ont gardé la même fraîcheur que le livret, simple et efficace : Dicéphile, Archonte d’Athènes refuse son héritage à son neveu Nicias, dont il est aussi le tuteur. Celui-ci, ruiné, est secouru par Phryné (courtisane dont il est amoureux) des huissiers qui le poursuivent. Dans leur duo du deuxième acte, elle lui avoue aussi son amour et décide de l’aider. Usant de ses charmes et de sa statue faite par Praxitèle, elle fait perdre la tête à Dicéphile qui, surpris par son neveu en fâcheuse posture, doit partager sa fortune avec Nicias.
Sur cette intrigue assez classique si ce n’est son aspect licencieux, Saint-Saëns compose une musique particulièrement savoureuse, mettant à distance les personnages, s’en donnant à cœur joie dans l’érotisme qui entoure la courtisane (comme dans le charmant chœur “C’est Phryné”). L’orchestre est un vrai partenaire qui donne tour à tour son rythme et sa poésie aux scènes, par exemple dans la belle scène où Phryné raconte qu’elle se promène au bord de la mer, l’orchestre faisant rouler les vagues avant de s’apaiser pour une charmante prière à trois (faisant parfois presque penser à Hollywood).
Hervé Niquet insuffle son énergie à l’Orchestre National d’Île-de-France dès les premières mesures de l'œuvre, faisant ressortir une orchestration particulièrement soignée. Toutefois, le son du Chœur du Concert Spirituel, placé en fond de scène, se perd un peu dans ses quelques interventions, mais il n’en est pas moins musical et homogène.
L'œuvre ayant été gravée cette année par le Palazzetto Bru Zane (notre compte-rendu de l’enregistrement à Rouen), une partie de la distribution réunie alors se retrouve, tout comme l’effort de prononciation et de théâtre de tous les chanteurs : l’intrigue, même sans sur-titres, est particulièrement claire et les mots ne se perdent que très peu dans la musique (le tout dans une soirée équilibrée sans que personne ne tire la couverture à soi).
Anne-Catherine Gillet reprend le rôle enregistré par Florie Valiquette au disque. Très crédible en courtisane irrésistible dans sa longue robe verte, elle est aussi celle qui se détache le plus de sa partition, cherchant véritablement à s’adresser aux autres chanteurs, composant un personnage piquant et attachant. La soprano affronte sans réelle difficulté le rôle qui contient quelques aigus et des vocalises un peu traîtres, qui ne sont pas toujours parfaitement fluides ce soir. Le timbre est fruité avec un vibrato un peu serré qui souligne davantage l’esprit que la sensualité de la courtisane.
À ses côtés Anaïs Constans est une Lampito sympathique et bien chantante : la voix est claire et juvénile, très proche du texte même si certains mots disparaissent dans son petit air du IIe acte. Elle reste dans son personnage même en sortant de scène, ce qui lui permet d’être tout de suite présente dans ses interventions théâtrales.
Annoncé souffrant, Cyrille Dubois fait plus qu’assurer la soirée : si la projection est un peu réduite et que l’artiste paraît prudent, il s’investit dans son personnage de jeune écervelé, donnant tout leur poids aux mots. Les quelques suraigus de la partition sont écourtés mais font retrouver ce timbre vibrant et fluide avec un vrai sens de l’humour dans certaines petites répliques mordantes.
Thomas Dolié brosse son portrait d’un Archonte infatué et pas très net, avec un visage particulièrement expressif et drôle. Le timbre du baryton est flatteur et rond, d’une belle couleur noire, malgré une certaine tension dans l’émission qui ôte un peu de son mordant à l’instrument.
Enfin Matthieu Lécroart et Camille Tresmontant forment un duo comique efficace qui ouvre l’opéra : le premier met un grand soin à faire sonner tout son texte d’une voix puissante quand le second fait entendre un joli timbre clair, plutôt léger, et une belle musicalité.
La soirée bien applaudie paraît presque trop courte en définitive mais rend hommage à l’humour de Saint-Saëns en cette saison qui commémore le centenaire de sa disparition.