Hulda, pépite cachée du TCE
Une œuvre inconnue d’un compositeur à découvrir, servie sans mise en scène par une distribution de qualité mais sans nom clinquant : le public du Théâtre des Champs-Elysées ne semble pas avoir trouvé assez d’arguments pour aiguiser sa curiosité et la salle se trouve à moitié vide.
S’il est coutume de dire que les œuvres oubliées ne le sont pas sans raison, celle-ci mérite d’être écoutée, notamment pour la richesse de son orchestration et l’écriture de ses chœurs dont les lignes s’entremêlent avec splendeur. L’écriture de César Franck, pour un effectif nombreux, recèle de surprises (comme le quintette à cordes du début de l’acte IV) et de trouvailles harmoniques (comme ces gracieux contrepoints à la flûte traversière à l’acte I). Le ballet, figurant la lutte de l'hiver et du printemps, est un bijou qui mériterait d’être chorégraphié pour donner sa pleine mesure. Le livret, inspiré d’une légende médiévale nordique, n’est pas sans intérêt et mériterait lui aussi sans doute d’être incarné un jour par la vision d’un metteur en scène, afin de faire mieux ressortir les enjeux et les passions à l’œuvre. Hulda, une guerrière prisonnière décidée à venger les morts de son clan, utilise les rivalités qu’elle inspire chez ses adversaires pour les faire tomber un à un.
L’Orchestre Philharmonique Royal de Liège (le concert a été inauguré à la Salle Philharmonique de Liège avant d’être enregistré à Namur) est conduit par son Directeur musical Gergely Madaras, qui déploie de grands élans aux rythmes chaloupés avec des nuances souples et mystérieuses, mais une attention insuffisante aux solistes dont les voix sont parfois couvertes et les rubati (prises de liberté rythmique de l'interprète) mal suivis par l’orchestre. Le Chœur de chambre de Namur se montre très ensemble et investi dans la première partie, mieux écrite par le compositeur, mais semble relâcher son attention et son dynamisme lorsque l’intérêt de la partition est moindre, rendant la prosodie moins claire.
Jennifer Holloway interprète l’exigeant rôle d’Hulda. La voix est dure, cognant chaque note en combattante, comme armée pour sa vengeance depuis des graves de feu jusqu’à un aigu tranchant. Son vibrato rond et rapide participe à assoir sa ligne de chant. Sa diction du français, globalement soignée, ne l’empêche pas d’avaler certaines syllabes, complexifiant la compréhension du texte (défaut toutefois atténué par la présence de surtitres). Ludivine Gombert (la confidente Thordis) s’investit dans ce petit rôle d’une voix agile et perchée, épaisse dans l’aigu dont le timbre est très pur. Sa diction très précise rend justice au texte qui se trouve très compréhensible. Marie Gautrot, en Mère d'Hulda allie sa voix à celle de sa fille, par son timbre de marbre froid et lustré et sa projection très directe.
Edgaras Montvidas campe Eiolf, chevalier au centre des intrigues amoureuses entourant Hulda. La superbe de son personnage se retrouve dans sa voix éclatante au timbre brillant, mais qui reste engorgée du fait d’une couverture vocale trop présente. Sa ligne de chant manque de stabilité, notamment lorsqu’elle est lancée vers les aigus, sans contrôle, et sa diction reste imparfaite. Judith van Wanroij (Swanhilde, fiancée d’Eiolf) montre la tendresse de son personnage de sa voix pincée, avec sa fine prosodie et son vibrato rond et ruisselant.
Christian Helmer (père du clan Aslak) déploie un chant compact et ténébreux d’une voix virile et mature de guerrier, jusqu’à la méprise finale de son personnage qui tue son fils Arne, le prenant pour un autre. Dans sa robe mêlant le rouge et le noir, Véronique Gens (sa femme Gudrun) se montre digne face aux excès des siens, cherchant à calmer les passions de sa voix émise depuis les profondeurs de son instrument et passant habilement d’un registre à l’autre. Tragédienne accomplie, elle déploie de belles lignes, percutantes.
Matthieu Lécroart (Gudleik, meurtrier du clan d’Hulda qui veut ensuite l’épouser avant de tomber sous les coups d’Eiolf) ne paraît pas si méchant vocalement, avec son timbre clair de baryton au vibrato ferme, et sa prosodie très articulée. Son frère Arne (puis un Héraut), est interprété par Matthieu Toulouse d’une voix placée dans le masque, large, sombre et résonnante, qui se rétrécie toutefois dans le grave. La fratrie est complétée, presque systématiquement en trio ou quatuor, par Artavazd Sargsyan (Eyrick) au timbre riche, François Rougier (Gunnard) et son ténor sombre, Sébastien Droy (Eynar) au chant patiné et Guilhem Worms (Thrond) à la voix corsée.
Aux saluts, le public compense sa faiblesse numérique par un surplus d’enthousiasme dans ses applaudissements, preuve qu’il a apprécié de découvrir cette œuvre, voire pour certains ce compositeur.