Le Chant de la Terre retrouve son public au Festival de Saint-Denis
L'un des temps marquants de cette 54e édition du Festival de Saint-Denis sont les retrouvailles de l'Ensemble Le Balcon et du public dionysien avec Le Chant de la Terre de Mahler. Ce concert programmé en 2020, finalement joué sans public lors d'une édition confinée, enregistré, capté et diffusé par France TV, revient en présentiel avec la même distribution. Marianne Crebassa attend désormais un heureux événement mais elle avait déjà été remplacée (car bloquée en Autriche par le protocole sanitaire) par Stéphane Degout pour la voix grave.
L'œuvre testamentaire de Gustav Mahler, créée quelques mois après la mort du compositeur en 1911, Le Chant de la Terre se présente ce soir dans le grand espace de la Cathédrale mais dans une version chambriste, arrangée par Arnold Schoenberg en 1920 et achevée par Rainer Riehn en 1983. Cette réduction d'effectif ne nuit pas à la monumentalité de la partition qui résonne pleinement sous les voûtes de la Basilique. La nouvelle configuration permet d'ailleurs une meilleure clarté des couleurs sonores que Maxime Pascal parvient à faire ressortir de la vingtaine de musiciens devant lui. Ses gestes grands et ronds insufflent une énergie imposante dès la première note. L'équilibre entre les solistes et la phalange s'établit aussi bien qu'au sein des sections orchestrales où les cordes mènent le jeu par leur accord sonore, compact et expressif. Chaque musicien-soliste imprime son empreinte dans la construction de cette toile poético-symphonique évoquant le paysage chinois, le lyrisme du hautbois et la résonance fatidique du gong (parmi d'autres) sillonnant aisément cet espace sonore.
Après un début intense et dans une recherche de proportion sonore en rapport avec l'orchestre, l'expressivité du ténor Kévin Amiel s'épanouit. Son instrument dramatique et brillant résonne au mieux dans la région centrale de la tessiture, avec un bon soutien dans les graves qui apportent assurance et stabilité. Il se heurte toutefois à une ligne serrée et poussée dans sa haute sphère, mais toujours avec force et d'une solidité malléable à travers les méandres mélodiques.
Stéphane Degout impressionne par la rondeur et la stabilité de son baryton soyeux. Pleinement investi dans l'interprétation musicale de la poésie adaptée par Hans Bethge, il colore une palette expressive assez grande et nuancée, rejoignant la prononciation allemande habile et préparée. La ligne de projection est droite et l'émission dosée mais suffisamment ample pour emplir l'espace jusqu'aux derniers rangs de la Basilique Royale. En bonne entente avec ses collègues instrumentistes, le baryton teinte sa prestation sans faille d'une clarté et d'une luminosité lyriques, notamment grâce à un legato fin et satiné. Les graves sont charnus, la voix mixte solide, et il use de sa bonne santé vocale pour livrer un chant plein de saveurs et d'émotions.
Sur le ton pensif d'"Ewig, ewig" (Éternellement…) qui conclut le dernier mouvement en un long Adieu, Stéphane Degout s'avance doucement vers la fin du concert et un public impatient de faire enfin résonner la Basilique de Saint-Denis d'un tonnerre d'applaudissements, pour les artistes et ce projet.