Saint-Saëns Biblique : Samson et Dalila à Londres
Richard Jones, dont l’Opéra de Paris reprend en ce moment même la mise en scène de Parsifal, présente à Londres sa nouvelle vision, du Samson et Dalila de Saint-Saëns. Le décor des premier et troisième actes est essentiellement contenu dans une boite qui confine le chœur et les solistes à un espace aussi petit en taille (allant à l’encontre du spectaculaire de cet opus) qu'il est flatteur sur le plan sonore (trop même, forçant les voix à lutter contre un effet de caisson acoustique). Egalement à rebours du livret, la maison de Dalila censée être entourée de ‘lianes luxuriantes’ ressemble davantage à un bâtiment préfabriqué, l’ensemble des costumes étant à l’avenant (à l'exception des tenues du Grand Prêtre et de Dalila au troisième acte) : les costumes des esclaves ressemblent beaucoup à ceux utilisés pour le premier acte de Lohengrin par David Alden in loco le mois dernier), tandis que les les Philistins sont en survêtements.
La mise en scène implique en outre le chœur dans les numéros de danse prévus par la partition (énergique, exigeant bien davantage que quelques pas synchronisés ou l'exercice ici proposé, entre Riverdance et pas de deux parodique, dont se tirent au mieux huit danseurs professionnels).
Dans les rôles-titres, Seokjong Baek conduit les Hébreux comme Elīna Garanča emporte les prêtresses de Dagon, le tout au triomphe vocal. Le ténor déploie une gamme dynamique impressionnant (depuis de son accusation électrisante de "trahison" à sa cadence nuageuse et sans effort sur la fin de "Mon cœur s'ouvre à ta voix"), le tout malgré des souffrances visibles à être ainsi confiné dans un caisson et à devoir passer les Chœurs. Il n’en déploie pas moins la subtilité des nuances et l’évidence du phrasé.
Elīna Garanča arrive à Londres avec ses inconditionnels, qu’elle n’a pas davantage besoin de convaincre que le reste des spectateurs : sa voix conserve toute la beauté balte de son timbre, avec sa puissance dans le registre supérieur, tout en continuant de creuser les graves de sa tessiture. Dalila lui permet aussi de déployer quelques brillances dans l’aigu et de rappeler sa fameuse Carmen, le tout avec une diction de qualité, comme pour son collègue.
Blaise Malaba donne à Abimélech sa basse juste avec l'ampio parlar robuste dont le rôle a besoin, même si le cadavre du personnage passe plus de temps sur scène que le personnage lui-même dans cette production.
Le Grand Prêtre est porté par Łukasz Goliński avec un fort soutien vocal mais une amplitude si large qu'il est parfois difficile de situer la hauteur du son. Le Vieillard Hébreu (transformé dans cette production en "rabbin de Samson") a, au contraire, la voix focalisée et élégante de Goderdzi Janelidze (qui doit cheminer sur la scène pendant la plus grande partie de l'action). Les trois autres rôles masculins, les deux philistins et le messager, sont chantés avec élégance et sans ostentation par Alan Pingarrón (imposante voix prometteuse), Chuma Sijeqa (lui aussi avec potentiel, notamment dans les graves) et la voix bien soutenue de Thando Mjandana.
Le Chœur du Royal Opera House passe hélas une soirée à oublier (a fortiori eu égard à la place qui doit revenir aux phalanges chorales dans cet opéra) : devant donc remplacer un corps de ballet, mais aussi chanter hors scène ou dispersé, ou dans la boite vocale, ne parvenant jamais à s'harmoniser en rythme, justesse et matière sonore. L'Orchestre également semble peu puissant (hormis les fanfares de trompettes, mais y compris les soutiens des trombones). Le maestro Antonio Pappano privilégie alors clairement le soutien des chanteurs, à l'élan des phalanges.
Le public y répond par un accueil très enthousiaste uniquement pour les solistes.