Elektra et Chrysothémis incandescentes à l’Opéra Bastille
Succédant donc à Semyon Bychkov et pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, Case Scaglione, par ailleurs directeur musical de l’Orchestre national d’Île-de-France, convainc visiblement l'auditoire par une direction musicale attentive et nerveuse à la fois, faisant la part belle à l’expressivité et au sentiment. Il révèle dans les moments de forte intensité un tempérament certain qui, appliqué à la partition de Richard Strauss, n’exclut toutefois pas les moments plus intensément lyriques ou bouleversants comme la scène de la reconnaissance d’Oreste par sa sœur Elektra. Une touche plus affirmée de violence voire de tension pourrait être certainement appliquée, mais Case Scaglione dirigeait sa première Elektra, ce qui n’est pas rien en soi.
Il bénéficie de la présence sur scène de deux interprètes féminines d’exception, Christine Goerke et Elsa van den Heever. La première campe une Elektra de la démesure, irradiante, effrayante de présence scénique avec cette volonté inouïe et perpétuelle de vengeance. Sa voix de grand soprano dramatique surprend par son volume, son ambitus, avec ce support d’un souffle qui semble inépuisable et cette rage constante qui marque sa prestation notamment lors de l’affrontement avec sa mère Klytämnestra. Les aigus emplissent la salle avec une facilité rare et une vaillance à toute épreuve, tout comme le grave très présent. Pour autant, elle parvient à faire ressortir le côté humain du personnage dans ses rapports avec Oreste et sa sœur Chrysothémis, modulant son chant en conséquence. À ses côtés, Elsa van den Heever en Chrysothémis rayonne de féminité et de jeunesse. Elle lui donne une réplique en tout point intense et complémentaire. La voix s’élève avec ferveur et luminosité, avec des aigus rayonnants, majestueux, ardente dans ses désirs inassouvis et toute emplie d’espérance. Comme sa partenaire, sa radieuse présence scénique attire tous les regards et augure au mieux de la Salomé de Richard Strauss qu’elle incarnera sur cette même scène la saison prochaine. Toujours aussi belle dans sa robe immaculée et avec sa chevelure d’une blondeur exquise, Angela Denoke dissimule l’effrayante Klytämnestra sous des dehors attrayants, femme qui se rattache désespérément à sa jeunesse et à son éclat d’autrefois. Loin des mégères habituelles croulant sous les bijoux et les amulettes, elle incarne un personnage marqué par la séduction et la dissimulation. La voix malheureusement se dérobe à plusieurs reprises, même si sa prestation demeure globalement marquée du sceau de l’intelligence et de l’intuition d’une grande artiste. Tómas Tómasson d’une voix profonde et ample, doté d’une stature impressionnante, campe Oreste plein d’ardeur et résolu. Gerhard Siegel excelle dans ces personnages de caractère comme celui du fielleux Aegisth. Sa voix de ténor claironnante et habilement projetée marque le rôle. Par rapport à la première représentation chroniquée sur le site, les autres interprètes des rôles plus secondaires restent les mêmes et les commentaires alors apportés s’appliquent sans conteste.
La puissante et sombre mise en scène de Robert Carsen, avec ces murs noirs, ses lumières accentuées, ses prêtresses-danseuses issues de l’imagerie de la Grèce Antique, donne des frissons et s’insinue au plus profond du spectateur qui de fait ne ressort pas indemne de la soirée. Plus prosaïquement, la politique tarifaire plus avantageuse mise en place par l’Opéra national de Paris pour permettre de remplir la salle pour cette série de représentations d’Elektra semble avoir porté ses fruits. De nombreux jeunes particulièrement attentifs durant tout le spectacle emplissaient l’Opéra Bastille, réservant une ovation de grande ampleur à ce spectacle et tout particulièrement à son interprète principale, Christine Goerke.