Colón habanero : le récital enjoué de Nancy Fabiola Herrera
Accompagnée au piano par l’Argentin Marcelo Ayub (qui officiait déjà dans ce rôle et sur la même scène auprès de Kristine Opolais dans le cadre du même cycle de Grands artistes internationaux), la Canarienne Nancy Fabiola Herrera se présente au public argentin avec un répertoire largement inspiré de son pays natal. La soprano Ainhoa Arteta, sa compatriote, était censée l’accompagner à cette occasion mais des raisons de santé ont empêché cette dernière de former le duo initialement prévu pour porter les couleurs vives de l’Espagne.
De part et d’autre des Pyrénées
Abordant des compositeurs ibériques du XXe siècle trop peu interprétés hors d’Espagne (Eduardo Toldrà, Anton García Abril, Miguel Ortega, Xavier Montsalvatge), la première partie du récital est plutôt marquée du sceau de l’intimité, d’un dialogue entre le piano et la voix qui flatte naturellement, et de façon légitime (nombre de Porteños, les habitants de Buenos Aires, ont des racines espagnoles ou catalanes), l’écoute d’un public hispanophone attentif, curieux et conquis d’avance sous l’angle de l’affectivité. Cette proximité avec le public s’inscrit dans des genres propices à l’expression musicale de l’intime : chanson d’amour, romance, berceuse, habanera. La deuxième partie débute, en guise de transition, sur trois mélodies de Pauline Viardot (d’origine espagnole, la sœur de la Malibran est née García) sur le thème de l’Espagne (« Madrid », « Habanaise », « Les Filles de Cadix ») avant de s’ouvrir sur l’opéra français avec des airs extraits de Werther de Massenet, Samson et Dalila de Saint-Saëns et Carmen de Bizet.
Si l’air de l’Habanera vient clore avec beaucoup d’évidence et de cohérence programmatique cette soirée sous le sceau de l’Espagne, il faut aller chercher plus loin pour comprendre le choix du fameux air « Mon cœur s’ouvre à ta voix » : presque littéralement, le récital s’ouvre aussi par ce biais à la voix de mezzo-soprano de Pauline Viardot puisque l’œuvre avait été dédiée par Camille Saint-Saëns à cette cantatrice vedette du XIXe siècle. En revanche, la programmation de l’air « Werther ! Werther !… Qui m’aurait dit… Ces lettres ! » laisse plus perplexe du point de vue de la cohérence d’un récital qui, à cheval entre l’Espagne et la France, paraissait pourtant globalement bien pensé. Un bis permet à Nancy Fabiola Herrera de faire une excursion dans le domaine de la zarzuela et de sa romance favorite (« Sierras de Granada » tiré de La Tempranica de Gerónimo Gimenez) et il est peut-être dommage que ce genre n’ait pas été davantage exploré durant la soirée par une mezzo par ailleurs spécialiste de ce « merveilleux patrimoine musical » de l’Espagne, selon les dires de Nancy Fabiola Herrera elle-même, récompensée en 2007 du prix de la meilleure chanteuse de zarzuela par la fondation Premios Liricos Campoamor du Théâtre d’Oviedo.
Piano, voix… et castagnettes
La cohésion du programme trouve une correspondance dans la complicité qui unit le pianiste Marcelo Ayub, attentif, soigneux, subtil et élégant dans son jeu, et la protagoniste de ce récital. La voix de Nancy Fabiola Herrera paraît légèrement voilée en début de soirée, avec des médiums et bas-médiums manquant de profondeur et de chaleur, mais, la voix s’échauffant, cet aspect s’estompe au fur et à mesure du déroulé du programme.
Si l’espagnol, articulé ouvertement, est particulièrement audible, il n’est pas de même du français qui, prononcé de façon tendue, voit parfois sa chaîne vocalique un peu écrasée, sauf lorsque le détachement des syllabes induit par la partition permet des différenciations plus nettes (sur « Havanaise » de Pauline Viardot). Le timbre est agréable et clair, d’un bleu oscillant entre des nuances azuréennes et argentées. Le vibrato est plutôt souple, son velouté contribue à l’intimité recherchée avec le public, tantôt au service d’une émotivité lancinante (sur « No por amor » d’Anton García Abril), d’une nostalgie contrainte et renfermée (dans « Agua me daban a mí » du même compositeur), tantôt dans la tentative d’un lyrisme débridé au moment d’entonner « Romance de la luna, luna », sur un texte de Federico García Lorca. Racine oblige, l’hispanité musicale provoque alors une expression corporelle adéquate, les mouvements ondulatoires du flamenco, joints à la puissance du chant, trouve un chemin dans l’expressivité poétique en écho des mouvements rythmiques des vers du célèbre poète. La voix peut se faire parfois plus piquante (« Cuba dentro de un piano » de Xavier Montsalvatge), l’amplitude de certaines projections rendant sa part d’universalité partagée à l’intime. « Les Filles de Cadix » de Pauline Viardot est le paroxysme de l’expression de la couleur locale. Nancy Fabiola Herrera s’empare à cette occasion de castagnettes, comme cela est dit dans les paroles (« Et nous dansions un boléro / Au son des castagnettes ») dont elle joue sans virtuosité particulière mais en imprimant un rythme inspiré à ce boléro, en lui rendant sa pleine saveur folklorique, pour le plus grand plaisir du public qui applaudit avec chaleur et reconnaissance la prestation de Nancy Fabiola Herrera et de Marcelo Ayub.
La chanteuse, transformée en Carmen, charme son public et termine son récital au milieu de la salle, le photographe du Colón lui-même tombant en extase devant le jeu de séduction de cette intrigante Espagnole !