Lucile Richardot en Magicienne baroque à la Chapelle protestante de Bruxelles
Georg Friedrich Haendel, Francesco Cavalli, Marc-Antoine Charpentier, Jean-Baptiste Lully, Henry Purcell, François Couperin et leurs muses se métamorphosent avec la voix puissante de Lucile Richardot. À peine la chanteuse pose-t-elle le pied sur la scène improvisée de la Chapelle protestante Bruxelloise dans le cadre de la saison musicale de BOZAR, qu’elle sourit déjà avec malice. Les yeux rieurs de la chanteuse croisent ceux du public, à qui elle s’adresse afin d’introduire les enjeux de ce récital autour des sorcières et magiciennes Médée, Armide et Circé en offrant un bref mais dynamique résumé des aventures de ces femmes torturées et tortionnaires (Médée vengeresse après la trahison de Jason, Armide tiraillée entre violence et désir inattendu pour Renaud, et enfin Circé prête à tout afin de garder Ulysse auprès d’elle).
La voix profonde de Lucile Richardot exprime avec justesse tantôt la colère et la soif de pouvoir des magiciennes, tantôt leur désarroi, leur tristesse, leur incompréhension. La puissance du chant est non seulement renforcée par l’intimité de la nef mais également par l’unique instrument l’accompagnant (tantôt le clavecin, tantôt l’orgue d’appoint permanent de la Chapelle).
C’est d’ailleurs en solo que Jean-Luc Ho ouvre le concert avec l’Ariodante d'Händel, énergique et volatile. Accompagnant le chant, certains moments s'envolent mais s'imposent, par leur portée soliste, rapide et dé-concertante.
Au fil des divers moments de vie des enchanteresses évoqués dans les textes, Lucile Richardot s’approprie la Chapelle royale. Le public s'en trouve presque confronté et apostrophé par la chanteuse : depuis les hauteurs de la chaire du prêtre ou à renfort de déambulations théâtrales le long de l'assistance, elle incarne avec élégance les puissantes protagonistes. La voix se métamorphose, parfois androgyne parfois angélique, tant dans les graves puissants, profonds et volutés que dans certains aigus célestes (un oxymore résumé par la seule figure de Médée, magnanime et maternelle chez Cavalli, désillusionnée de graves aiguisés chez Charpentier).
Cette impression de mille visages de la même femme, intrinsèquement liés à la psychologie de chacune, laisse ainsi Lucile Richardot jouer et tenir son auditoire, en voix et en joie.
Le public applaudit chaleureusement les artistes qui, en une heure de temps, l'auront transporté à travers les temps baroques et mythologiques dans une prestation à la fois intime et théâtrale, par complexité des sentiments d’amour, de souffrance et de rage (avec amusement aussi).