Orlando Furioso au Teatro Filarmonico de Vérone
Trois heures durant, Vivaldi reste ainsi fidèle à son idéal mariant les richesses et arabesques, vocales et orchestrales, le tout résonnant avec l’émerveillement typiquement baroque des costumes (Giuseppe Palella) étincelants et des machines théâtrales, entre histoires de guerre et d'amour. Cette mise en scène de Fabio Ceresa poursuit ainsi son parcours italien, après le Festival della Valle d'Itria à Martina Franca en 2017 et sa représentation l'année suivante au Théâtre Malibran de Venise.
La scénographie de Massimo Checchetto dessine un espace où se rencontrent les abîmes du ciel et de l'océan, où tout se reflète. Des éléments archéologiques à l'avant-scène rappellent les origines antiques du drame, dans un même matériau stellaire que la lune tournant au centre du plateau pour faire pénétrer dans le palais de la sorcière en coquille dorée.
Les lumières de Fabio Barettin rendent l'atmosphère encore plus fascinante. Les couleurs teintent la "grotte dorée" d'orange, de rouge, de vert. Du violet s'estompe progressivement en bleu nuit, rappelant les abysses de la mer. Le fantastique bascule avec le drame dans un crescendo de rouge, celui de la folie et de la vengeance. Des choix qui dialoguent avec les innombrables chromatismes des costumes complets (combinaisons d'amples robes, de corsages marquetés et d'armures, avec casques et bracelets) rappelant le tourbillon de couleurs du poème.
L'Orchestre de la Fondation Arena (sur instruments modernes mais avec deux clavecins et théorbe) est dirigé par Giulio Prandi avec une approche presque "furieuse", riche en couleurs et vitalité, magnétique et théâtrale par la musique. Dès l’ouverture, le lyrisme de l’Orchestre transporte l’auditoire vers les couleurs vénitiennes et cette longue tradition baroque (d’autant que la partition est ici donnée dans une édition critique, celle de Federico Maria Sardelli). Les interprètes suivent attentivement les mouvements de cette direction très variée, qui presse quelque peu même face aux complexités de la partition.
Les quelques (mais significatives) interventions des chœurs préparés par Ulisse Trabacchin gardent leur présence dynamique et vivante, celle d'un équipage harmonieux et rangé.
Teresa Iervolino (qui débutait en ce Teatro Filarmonico en 2012 avec Pulcinella de Stravinsky et débutait l'année dernière aux Arènes en prenant le rôle de Fenena) incarne Orlando en captant ses nuances vocales, expressives et pathétiques, puis héroïque et follement amoureuse. Son grave, au timbre marqué, aux accents raffinés, s'affirme même dans les parties à grande vitesse.
Sonia Prina (qui était Orlando dans cette production à Martina Franca et Venise), joue ici Ruggiero. Ses mots coulent comme un flot mélodique, dans l'aria la plus connue "Sol da te mio dolce amore" accompagnée d'un solo de flûte (Pier Filippo Barbano), qui suscite plusieurs minutes d'applaudissements. Le timbre vocal, sec et agile, se fait touchant dans le grave de contralto.
Habituée aux couleurs baroques et chambristes, Lucia Cirillo (Alcina) présente un mezzo-soprano contenu mais à la présence scénique enchanteresse, plus convaincue dans les pages mélancoliques poussées par une force vocale motrice. Sûre dans ses mouvements, agile même malgré des vêtements volumineux et opulents, elle conserve le caractère espiègle et drôle.
La ligne de chant pure et fraîche distingue Francesca Aspromonte (Angelica), mettant notamment en valeur l'aria de l'étoile brillante, mais aussi sa berceuse au lyrisme limpide.
Chiara Tirotta est une Bradamante à la fois délicate et poignante, interprétant scéniquement et vocalement la douleur de la perte (rappelant la richesse de son répertoire allant de Puccini, à Verdi et Rossini).
Laura Polverelli (Medoro) a également un riche répertoire, à l'image de son amplitude harmonique et de ses effets vocaux, audacieux et spontanés.
Seul homme du plateau soliste, Christian Senn incarne Astolfo d'une émission mesurée mais élégamment expressive et, au besoin, même incisive.
Le public fasciné par ces machines et sortilèges fait un grand succès à ce fascinant spectacle de la splendeur baroque italienne.