Parsifal par La Monnaie de Bruxelles, œuvre concertante totale
Ce même mois, La Monnaie donnait à entendre le Requiem posthume de Mozart (mis en scène par Castellucci), aussi la question du dernier souffle artistique s’impose-t-elle comme une essence musicale de cette fin de saison. La durée et la complexité de Parsifal, son rapport au temps et aux temps héraldiques de la Mythologie germanique se trouvent magnifiés dans cette version purement musicale : avec pour seule "mise en scène" le geste théâtral des voix solistes, et cette partition-témoin de la rencontre entre les arts (la notion Wagnérienne de Gesamtkunstwerk : œuvre d’art total).
Sous la baguette d’Alain Altinoglu, les "mélodies infinies" semblent suspendues à l’image des grandes plaines romantiques, presque translucides. Avec une imposante matière, mais aussi des moyens très mesurés, l'Orchestre Symphonique de la Monnaie rend une constante légèreté majestueuse, d'une expression très chromatique et toujours aussi énergique.
À l’image de l’amplitude de cette musique et de cet Orchestre, les Chœurs (adultes, enfants et jeunes de la maison préparés par Johannes Knecht et Benoît Giaux) sonnent enveloppants et puissants. Situés derrière l’orchestre (voire pour certains cachés dans les coursives), leur son vient cerner l’acoustique de la Salle Henri Le Bœuf et donner la sensation de lointains paysages.
Le casting vocal, comme à l'accoutumée à La Monnaie présente une belle hétérogénéité, chacun tirant son épingle du jeu. Werner van Mechelen, baryton-basse habitué de la scène bruxelloise, campe Amfortas avec une confiance autoritaire. La voix souple, austère, métallique et puissante du lauréat du Concours de la Reine Elisabeth s’accorde avec son jeu maîtrisé, élégant et retenu.
Franz-Josef Selig est plus expressif en Gurnemanz, très énergique et même remonté. La ligne vocale irréprochable de la basse est marquée par son chromatisme, d'une expressivité et d'une prosodie allemande superlative. Le jeu semble facile, tout autant que le chant et l'esprit romantique, dont il est un grand connaisseur (il présentait déjà à La Monnaie un récital très Goethéen en compagnie du pianiste Gerold Huber).
Konstantin Gorny dans le rôle de Titurel s’offre une présence plus discrète. La basse russe (également couronnée de prix et distinctions), fait ici preuve d’une discrétion à propos au sein d’un casting laissant place à chacun : sa ligne vocale sombre et boisée sert le rôle avec austérité.
Julian Hubbard souligne la dimension psychologique du rôle-titre. D'une humanité innocente, parfois légère, son Parsifal se dessine au fur et à mesure des actes avec une profondeur grandissante, à travers l'expressivité de sa voix et de son jeu décomplexé.
Shenyang qui débute à La Monnaie et dans le rôle de Klingsor se dessine avec une redoutable précision. La prosodie allemande sonne profonde, élancée. Le baryton-basse chinois poursuit ainsi sa métamorphose vocale, lui qui a débuté par Rossini, Mozart et Haendel, se concentre désormais sur des répertoires dramatiques tels que Kurwenal, ainsi que sur les Lieder.
Elena Pankratova sert pleinement son rôle féminin majeur de Kundry (comme elle l'a fait chaque été à Bayreuth entre 2016 et 2019), avec amplitude, puissance et grande souplesse vocale. La précision de la soprano russe, sa prosodie et sa vélocité rendent avec facilité les révoltes du personnage.
La mezzo-soprano Iris van Wijnen qui débute à La Monnaie et en Voix céleste marque par l'élégance et la rondeur d'un son pourtant souple et acide, presque baroque dans sa teinte obscure et son ondulation maîtrisée.
Le ténor belge Willem van der Heyden que le public bruxellois connaît bien, revient ici en Chevalier du Graal, altier, de voix claire et puissante, ornée dans les aigus et plus sombre dans le drame. Abyssal et sombre, le timbre chaud de Justin Hopkins s'installe à ses côtés avec amplitude, la voix allant droit au but, droit vers le dramatisme wagnérien.
Sheva Tehoval qui débute en écuyer s’offre limpide, précise et claire, ses aigus coulant de sens et d’expressivité. Plus ronde et chaude, la voix de Raphaële Green (qui débute elle aussi en écuyer) dénote avec le reste de la production. La mezzo-soprano que le public bruxellois a récemment découverte dans le Triptyque de Puccini marque par un jeu théâtral très investi et l'expressivité de sa vocalité. Paul Curievici campe un autre écuyer exact, droit, expressif mais légèrement poussif. Alexander Marev qui a récemment intégré les rangs de la MM Academy, complète la phalange des écuyers, lui aussi par une belle vivacité et une voix directe avec un jeu franc, déployé et vif.
Hendrickje van Kerckhove, marque en fille-fleur par une fraîcheur de timbre limpide et clair, aux côtés de Lisa Willems très raffinée (qui reviendra avec Le Chevalier à la rose), et de Lies Vandewege affirmée et puissante.
Le public visiblement éprouvé et heureux applaudit Parsifal, ce "festival scénique sacré" ici devenu sacrément concertant.