Cavalleria Rusticana & Pagliacci entremêlés à l’Opéra de Massy
Éric Perez, en signant la mise en scène des deux ouvrages phares des débuts du vérisme italien, souhaitait, pour aller au devant de l’habitude de donner les deux opéras conjointement dans la même soirée à cause de leur similitude de sujet et d’écriture musicale, creuser plus loin dans la logique dramaturgique. Il l’explique ainsi : “Nous nous sommes inventés une histoire tous ensemble, celle d’une troupe de théâtre unique qui joue Cavalleria Rusticana, la tragédie, et Paillasse, la commedia dell’arte, en introduisant dès le premier opéra le mélange de fiction et de réel […] au début de Paillasse, on retrouve les mêmes acteurs qu’à la fin de Cavalleria Rusticana et c’est Canio qui joue Turridu”.
De fait, le prologue initial sert d’introduction commune aux deux œuvres. La scénographie et les costumes de David Belugou, soignés et inspirés de la veine traditionnelle du théâtre populaire italien, plongent dans un monde méditerranéen recréé avec goût et simplicité, tout en reprenant les éléments des théâtres ambulants de La Nuit des forains de Bergman ou du Capitaine Fracasse d’Abel Gance, donnant aux deux ouvrages une grande fluidité scénique avec des scènes de chœurs dynamiques et crédibles, rehaussés par les lumières de Joël Fabing.
Constantin Rouits, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Massy, parvient à créer des climats assez contrastés, et des moments élégiaques comme dans l’Intermezzo orchestral du milieu de Cavalleria, mais les grandes envolées lyriques manquent un peu d’aplomb et trahissent quelques décalages entre la fosse et la scène, notamment dans la procession pascale ou encore dans les réjouissances de la foule lors de l’arrivée des comédiens au début de Pagliacci.
Gosha Kowalinska donne, en quelques répliques, du relief au rôle relativement court de Lucia. Son mezzo grave emplit aisément la salle, avec un vibrato très ample et des sonorités de poitrines appuyées et percutantes. Ania Wozniak, plus légère, signe avec un “Fior di giaggiolo” enlevé et frais, une Lola gracieuse et séduisante.
Jean Miannay n’a que son air “O Colombina” pour réussir sa soirée en Beppe et il s’en empare avec beaucoup de classe, d’humour et de maîtrise, grâce à son timbre frais et brillant ainsi que ses aigus impeccablement amenés, et bien ancrés dans le corps.
Le Silvio de Gabriele Nani est très investi par la clarté et la chaleur de son timbre, la souplesse de ses aigus, ainsi que par la solidité de son souffle qui donne une dimension enivrante aux grandes phrases de son duo avec son amante.
Dongyong Noh, qui chante Alfio, mais aussi Tonio dans Pagliacci, possède une largeur assumée et une accroche dans le médium satisfaisante, qui rendent son Prologue honorable, mais délivre une ligne de chant parfois brouillonne, avec un haut médium serré et des aigus poussifs.
Chrystelle di Marco est une Santuzza au volume impressionnant et à la projection très condensée. Très engagée dramatiquement, elle donne à ses trois grands duos un relief saisissant, malgré une tierce aiguë parfois maladroitement canalisée.
La Nedda de Solen Mainguené est vocalement très à son avantage, brillant par l’ampleur de son medium, ses aigus filés qui font mouche dans le “Stridono lassù”, ainsi que par le charisme qu’elle insuffle à la fois dans son grand duo et dans la grande scène finale où elle vient mourir au pied du public avec une présence marquante.
Enfin, Denys Pivnitskyi assume à la fois les deux rôles imposants de Turridu et de Canio. Autant le lyrisme du premier lui sied et met sa tessiture naturelle à son avantage, donnant aux grands aigus déliés de l’air introductif une teneur savoureuse, ou encore à la scène finale des accents dramatiques appréciables, autant la noirceur et le spinto de Canio lui font un peu défaut. Il compense largement cette lacune par un jeu précis et une crédibilité théâtrale tout à fait louable.
Le public de Massy réserve à cette belle production enlevée un accueil chaleureux et mérité.
Chrystelle di Marco et Denys Pivnitskyi | Chrystelle di Marco et Gosha Kowalinska (© Marc Chambon) |