Première niçoise pour Annette Dasch avec Les Quatre derniers Lieder de Strauss
Annette Dasch, vêtue comme une vestale, s'imprègne pleinement de la partition en commençant par quelques secondes de méditation, les yeux clos, déjà en osmose avec l’Orchestre Philharmonique de Nice dirigé par Daniele Callegari (récemment interviewé sur nos colonnes en cette saison inaugurant son mandat de Chef Principal).
La soprano se tient droite, calme, déterminée, durant toute son interprétation, comme pour dompter le quadrige straussien, et lui faire gagner les cimes vocales depuis les profondeurs orchestrales. Sa voix longue, grenue dans le grave, pleine dans le médium et constellée dans l’aigu, flotte ou plonge dans les eaux tumultueuses de l’orchestre, dont le roulis est entretenu par les grands gestes circulaires du chef.
La maîtrise naturelle de la langue et de la poésie allemande permet à la chanteuse de travailler au pinceau la couleur et la texture des voyelles, d’en assombrir ou éclairer la teinte, avec un peu plus de "a" ou de "e", au beau milieu d’une note, tenue par un souffle maîtrisé, et entretenue par un vibrato calibré. Le verbe poético-lyrique, ainsi, se déguste à petite gorgée, à l’échelle du mot. Ce qui n’empêche pas Annette Dasch de construire conjointement sa partie à la grande échelle du poème (Hermann Hesse pour les trois premiers, Joseph von Eichendorff pour le dernier).
La chanteuse semble suivre des yeux la mélopée qu’elle sécrète et projette de manière contrôlée, tandis que sa tête légèrement est inclinée vers le bas, et que l’émission est placée vers le haut des pommettes (Printemps). Le timbre n’est jamais éthéré, mais toujours enveloppé d’un calme legato, dans lequel les consonnes se polissent, se patinent, et finalement se fondent dans la musique. La voix s’affine de manière saisissante, comme pour préparer la venue d’un nouveau partenaire, le violon solo, autour duquel elle s’enroule longuement (L'heure du sommeil). Enfin, la chanteuse se retourne, tandis que son regard pénètre dans les profondeurs de l’orchestre, pour faire appel à d’autres partenaires, puisés dans la petite harmonie (Au Crépuscule). Ses amplifications, récurrentes dans une partition acoustiquement généreuse, prennent source dans un pianissimo, toujours audible, comme frémissant à la surface des textures orchestrales. La voix, royale, poudreuse et dorée d’Annette Dasch, accomplit ainsi la pollinisation de toute une prairie d’instruments.
Le chef, comme aux aguets, assure la balance entre la voix et la phalange, ainsi qu’un dosage bien tempéré entre les différents pupitres. Sa gestique est à la fois altière et nerveuse, tandis qu’il se sert de sa baguette comme d’un archet, fendant l’air pour atteindre sa cible dans le cœur de l’orchestre. Cette vivacité trouve à se prolonger par une interprétation haletante et puissamment dessinée de la Symphonie n° 1 en ut mineur d’Anton Bruckner.
Après l’ode à la voix vient l’apothéose de l’orchestre, deux moments également et longuement applaudis par le public niçois, sensible aux sonorités envoûtantes.