L’Or du Rhin brille de tous ses feux au Théâtre des Champs-Elysées
C’est avec l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam (dont il est désormais chef honoraire), que Yannick Nézet-Séguin a choisi de se lancer dans cette folle épopée lyrique que constitue la représentation complète du Ring des Nibelungen de Richard Wagner et ses 15 heures de musique. L’Or du Rhin en constitue le Prologue dont la direction musicale toute de fluidité de Yannick Nézet-Séguin révèle avec acuité et une constante clarté toutes les composantes y compris les plus subtiles. Depuis les bouleversants accords du début et ses 136 mesures qui engagent l’auditeur sur les chemins de la découverte et de la narration jusqu’à l’ascension des Dieux vers le Walhalla, l’approche du chef d’orchestre ne vise jamais la démonstration ou l’accentuation. Elle accompagne tant l’équipe artistique que les spectateurs en salle vers les mystères et les discours wagnériens en leur tendant des clés de lecture possibles. Le leitmotiv si fondamental dans les compositions opératiques de Richard Wagner prend ici toute sa place de droit sans pesanteur ni redondance. Yannick Nézet-Séguin propose d’emblée une vision d’ensemble qui préfigure ce que devrait être l’exécution des trois journées du Ring. L’Orchestre Philharmonique de Rotterdam répond avec une justesse absolue de chaque instant aux orientations et souhaits de Yannick Nézet-Séguin. La beauté sereine des cordes, la justesse des cuivres, le raffinement des bois et la sonorité des harpes, impressionnent et induisent une harmonie d’ensemble qui n'exclut en rien les forte incandescents ou la gravité la plus imposante.
Une telle direction musicale nécessite un plateau vocal d’exception en osmose complète, ici réunie. Michael Volle déjà campe Wotan en alliant autorité et versatilité. La voix au début met un peu de temps à se stabiliser pour ensuite mieux rayonner sur toute la tessiture, ardente quand il le faut, plus feutrée à d’autres moments. Le timbre peut paraître un peu clair pour le rôle, mais l’intelligence de l’interprète, son charisme, son naturel à la scène, imposent une interprétation pénétrante et très personnelle. A ses côtés, la mezzo-soprano Jamie Barton impose une Fricka certes amoureuse, mais emplie d’une jalousie déjà féroce que les ruptures de la voix accentuent. Gerhard Siegel de sa voix de ténor à la projection directe et mordante, impose un Loge demi dieu à la fois d’une lucidité évidente, mais aussi capable des coups les plus bas et opportuniste avéré. Ici, il mène assurément la danse. Le Mime de Thomas Ebenstein apeuré comme il sied, livre une composition attachante du personnage dans toute sa vulnérabilité et son désir d’exister. Sa jolie voix de ténor flexible, presque juvénile, donne une image renouvelée de ce personnage trop souvent appuyé dans son approche. Christiane Karg donne le meilleur de son grand soprano lyrique dans le rôle peu enviable de Freia. Samuel Youn embrase la scène et le public avec son Alberich déchainé, acteur redoutable lorsque, avec sa simple veste et l’appui d’un éclairage spécifique, il se transforme en serpent géant puis en crapaud bondissant. Il ose le rire démoniaque, la démesure scénique au détriment peut-être de la tenue vocale qui se relâche et en pâtit un peu, mais le grain de voix sombre et si accrocheur, la projection même collent sans conteste au rôle. Les basses Mikhail Petrenko et Stephen Milling s’investissent sans concession dans les rôles des géants, Fafner et Fasolt. La voix du premier, forte et puissante, semble comme un roc pourtant décidément sensible aux charmes de Freia, la seconde apparaissant plus agissante, plus sinueuse, moins incisive certes, mais dotée d’un charme vénéneux qui l’amènera au fratricide pour l’amour de l’or et de la puissance. Le baryton Thomas Lehman domine avec aisance le rôle du dieu Donner d’une voix très assise et musclée tandis que le ténor lyrique à l’aigu séduisant Issachah Savage ne fait qu’une bouchée de Froh. La mezzo-soprano Maria Barakova en Flosshilde domine avec plénitude et aisance le groupe des Filles du Rhin, même si ses consœurs (Erika Baikoff soprano plus fragile et lumineux en Woglinde et Iris van Wijnen, Wellgunde mezzo d’une belle assise) ne déméritent en rien. La musicalité dont elles font preuve ne parvient pas toujours à assurer l’équilibre d’ensemble, tant la voix de Maria Barakova, dotée par ailleurs d’une présence physique imposante en taille, semble déterminante. Mais c’est la contralto Wiebke Lehmkuhl qui reçoit la palme des applaudissements pour sa voix puissante aux graves voluptueux, cette facilité dans la tenue des notes, ce timbre nimbé de mystère et pourtant si radieux, captivant durant la totalité de sa présence en scène. Et en premier lieu Wotan qui décide enfin de se séparer de l’anneau maudit au profit du retour de Freia dans le domaine des dieux.
Une ovation sans aucun nuage vient saluer cet Or du Rhin qui marquera durablement les mémoires. Il faudra toutefois patienter jusqu’à la saison 2023/2024 du Théâtre des Champs-Elysées pour découvrir la première journée du Ring, La Walkyrie.
Rheingold finement ciselé par Yannick Nézet-Séguin à la tête dun Rotterdams PhilOrk superbement narratif et qui laisse toute leur place aux chanteurs. A-t-on entendu Alberich plus grimaçant et vindicatif que celui de Samuel Youn ? Volle, Lehmkuhl, Milling magnifiques. pic.twitter.com/ChTDLfpIYe
— Freak McLyric (@FreakMcLyric) 23 avril 2022