Ovation pour la recréation du premier Zoroastre de Rameau
En attendant l’inauguration officielle à la rentrée 2022, les habitants de Namur profitent d’ores et déjà de leur toute nouvelle grande salle de 780 places entièrement dédiée aux concerts : le Namur Concert Hall. L’édifice (le Grand Manège de Namur) abritant également le Conservatoire Balthasar-Florence de Namur est la résidence tant attendue du Centre d'Art Vocal et de Musique Ancienne CAV&MA (qui comprend notamment le Chœur de chambre de Namur). L’acoustique du Namur Concert Hall, très confortable car étudiée avec un soin extrême et facilement adaptable, se fait d’emblée l’écrin d’une résurrection : la version d’origine de Zoroastre créée en 1749 à l’Opéra de Paris, éclipsée par les versions remaniées de 1756 puis 1770 (moins morales et philosophiques, davantage portées sur la romance) grâce au travail du Centre de musique baroque de Versailles qui s’est plongé dans l’édition complète des œuvres de Rameau, sous la direction de Sylvie Bouissou et avec le soutien actif du Directeur artistique Benoît Dratwicki.
Ce retour aux sources est porté par une distribution vocale composée d’experts dans le répertoire du baroque français (même pour les rôles qui pourraient paraître secondaires). Reinoud van Mechelen incarne pleinement le rôle-titre avec la clarté de sa diction et l’intensité de son expressivité, mais aussi l’alliage de son timbre moelleux et surtout brillant, particulièrement dans les aigus. Sa belle Amélite est incarnée par Jodie Devos, à la voix claire voire pétillante, au texte délicat (les consonnes servent autant le propos que ses nuances), le tout projeté sans effort jusqu’à un sommet éclatant tout en gardant sa finesse. Le vibrato est souple et serré, maîtrisé et soutenu.
Le pendant maléfique de ce couple, Érinice et Abramane, est interprété par Véronique Gens et Tassis Christoyannis. La première parvient à faire deviner la sensibilité cachée de son personnage, dont le cœur souffrant finit par haïr et ne penser qu’à la vengeance. Si l’expressivité est portée par la belle conduite de ses phrasés, son timbre apporte la noirceur qui sied à son personnage, surtout dans le médium-grave. Son vibrato se fait ample, particulièrement dans les aigus, sans gêner véritablement la compréhension de ses paroles, pour lesquelles la chanteuse se montre attentive. Le regard de Tassis Christoyannis semble accroché à sa partition, sa voix perdant ainsi en projection. De ce fait, son timbre noble et profond ne suffit malheureusement pas à apprécier ses interventions, gênées en outre par un vibrato trop large ainsi que des intentions volontaires mais à la puissance et aux phrasés trop brusques.
Mathias Vidal, en Abénis, Orosmade et une des Furies, montre tout son amour pour la langue, avec une attention extrême de la prononciation et des phrasés. Son énergie et son investissement physique et vocal peuvent certes paraître (parfois ou à certains) excessifs et limiter souplesse et finesse au profit du mouvement. Ses aigus n’en sont pas moins suspendus (quoiqu’ils pourraient être un peu plus intenses). Il répond à Gwendoline Blondeel, pleine de fraîcheur et de finesse en Céphie et en Cénide, avec son timbre lumineux et rond. Elle offre avec sa collègue Marine Lafdal-Franc un duo très homogène, celle-ci apportant son timbre moelleux et clair –mais qui mériterait une présence et une expressivité encore plus assurée pour convaincre davantage. David Witczak prête sa voix très ronde, sombre, et ses phrasés investis à Zopire, Ahriman, au Génie et à la Vengeance. Malgré l’intensité de ses interventions, sa projection vocale est parfois insuffisante, surtout dans les graves, et sa diction pourrait être plus limpide.
Chantant à résidence, le Chœur de chambre de Namur est acclamé par son public, offrant des pages puissantes voire glorieuses, fortes d'une homogénéité d’ensemble grâce à la préparation de Thibaut Lenaerts (qui rejoint brièvement l’avant-scène pour compléter le trio des Furies).
Sous la direction active d’Alexis Kossenko, qui dessine ses phrasés caressants et montre sa grande confiance dans les parties les plus alertes (au risque parfois de quelques légères précipitations et de micro-décalages sans conséquences), l’Orchestre Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie défend avec pertinence cette musique tout à fait théâtrale et pleine de couleurs très diverses, de la tendresse à la danse infernale. Les cordes sont homogènes, les vents –surtout les bois– font honneur à leurs nombreuses sollicitations (une des nouveautés de Rameau) en particulier le timbre des clarinettes qui participent à colorer cette orchestration (fruit de recherches historiquement informées mais sans certitude parfaite, certes).
Disponible sur smartphone grâce à un QR code, le livret permet de comprendre l’intrigue qui reste relativement complexe, faite de certaines séquences servant davantage le divertissement que l’intrigue, et permet notamment de comprendre quelques brèves interventions de protagonistes : autant d'intentions qui furent au service d'une machinerie aussi spectaculaire que la musique, mais qui sont ici défendues avec passion, ravissant le public. L'ovation debout salue sans hésitation ces artistes et souhaite à ce concert un bon voyage (Zoroastre passera ainsi du lieu de résidence du Chœur de chambre de Namur à la maison commune pour Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie : l'Atelier Lyrique de Tourcoing, ce 30 avril 2022).