Didon et Énéide en Avignon
Le spectacle est introduit par un prologue original de Catherine Kollen, inspiré de L’Énéide (du poète latin Virgile) et de Purcell. Belinda arrive ainsi en Italie six ans après la mort de sa sœur, Didon, et la chute de Carthage. Elle y retrouve Énée qui, avec des allégories du soleil (Phœbus) et de l’amour (Vénus), célèbre sa victoire dans le territoire du Latium. Par le biais du spectacle qu’elle a écrit, Belinda annonce à Énée le décès de Didon. La musique du prologue a également été reconstituée à partir d’airs, chœurs, ouvertures et danses de Purcell extraits de The Fairy Queen, Timon of Athens et The Double Dealer.
Les costumes parfois classiques, parfois contemporains d’Alain Blanchot s'allient avec la scénographie sobre mais recherchée et d’un grand symbolisme (de Mathieu Lorry-Dupuy). Trois tulles et les lumières de Caty Olive évoquent ainsi avec des taches d’encre noire l’image d’une grotte représentant l’espace mental, l’impossibilité de distinguer le monde réel du monde imaginaire, la lutte entre les souvenirs et l’oubli, entre la raison et la folie. De la même manière, la cage en tulle blanc qui descend parfois sur Didon représente sa sensation d’enfermement intérieur.
Le chœur de l’Ensemble Diderot apporte son dynamisme sur scène avec la chorégraphie d’Anne Lopez. Les voix chaudes et équilibrées produisent un effet de groupe captivant. Sans se couvrir entre elles (et encore moins les chanteurs), les lignes et harmonies vocales accompagnent les personnages principaux tout au long de la pièce, facilitant la compréhension en commentant les évènements.
La soprano Chantal Santon-Jeffery offre un timbre élégant et chaud, une diction anglaise exemplaire et une projection assurée. Son interprétation scénique constamment forte et crédible transmet au public son ressenti et son état psychologique, autant à travers son expression corporelle qu’à travers les inflexions de sa voix. Tout comme ses compagnons de scène, elle joue plusieurs personnages : Vénus au prologue, puis changeant de registre et surprenant le public en magicienne contant ses manigances dans l’obscurité de sa grotte avec des graves poitrinés et une interprétation menaçante annonçant la noirceur de ses machinations pour empêcher l’union de Didon et du prince troyen. Elle interprète finalement le fameux et déchirant "Remember me" avec une musicalité et une suavité ensorcelantes.
Le baryton français Romain Bockler interprète principalement Énée, mais aussi Phœbus, l’Esprit et le Marin. Sa grande présence scénique et vocale séduit facilement Didon, mais également le public. Faisant montre d’une voix chaude et caverneuse, mais aussi d’une prestance et d’une grande élégance sur scène, il donne de l’allure à la dignité du prince troyen. Sa grande projection et son soutien assuré tenu à l'envi font voyager ses graves et ses médiums à travers la salle (malgré quelques petites imprécisions dans ses attaques aiguës).
Belinda (mais aussi la deuxième Néréide et la première Sorcière) est interprétée par Daphné Touchais avec son soprano clair et timbré. Ses vocalises énergiques se mettent également au service d'une interprétation convaincante, tout autant durant le prologue (lorsqu’elle montre son amertume après la mort de Didon) que dans le reste de l’opéra, où elle joue une Belinda jeune et gaie, qui ne se doute de rien. La mezzo-soprano Anna Wall interprète pour sa part la Seconde Dame, ainsi que la première Néréide et la deuxième Sorcière, avec un timbre clair et une voix puissante.
Les instrumentistes de l’Ensemble Diderot, précis et attentifs, sont dirigés avec virtuosité par Johannes Pramsohler, également violoniste. À l’instar des chanteurs sur scène, le directeur fait aussi preuve de polyvalence, surprenant certains spectateurs avec son talent lui permettant d’aller et venir entre son rôle de chef et celui d'instrumentiste, sans perdre pour autant en qualité dans aucun de ses deux rôles.
Après ce spectacle poétique et plein de symbolisme, le public ne mesure pas ses applaudissements et remercie les artistes pendant plusieurs minutes, les faisant revenir à plusieurs reprises.