Fil d’Ariane à l’église de la Villette avec Pichon et Pygmalion
De Johannes Ockeghem à Schönberg, de Hildegarde de Bingen à Wagner, les voix de l’Ensemble Pygmalion font voyager le public à travers le temps. Le fil rouge : les chœurs, dont s’inspire le programme pour tisser un lien entre ceux du romantisme allemand et les polyphonies sacrées du Moyen-Âge et de la Renaissance. Ainsi, les spectateurs redécouvrent-ils les Wesendonck Lieder ou les Rückert-Lieder devenus, pour l’occasion, chants choraux, grâce aux arrangements de Clytus Gottwald.
Le concert commence avec le Deo gratias à trente-six voix de Johannes Ockeghem. Seules les sopranos paraissent d’abord dans le chœur et, alors qu’elles entament leur chant, viennent leur répondre les voix des altos, des ténors et des basses, réparties le long des bas-côtés de l’église, ricochant de toutes parts contre ses hautes parois et surprenant d’entrée le public. Tous rejoignent ensuite les sopranos pour poursuivre, toujours a cappella, la suite du programme.
L’imposant chœur de l’Ensemble Pygmalion frappe d’abord par la couleur et l’éclat que démontrent chaque degré et variation des voix, toutes sensibles à l’oreille (quoique les ténors sonnent plus en retrait), en particulier dû à la luminosité et la vibrance de celles des altos et des sopranos. Le contraste est ainsi rendu saisissant avec le caverneux chant des basses, peu à peu éclairé par les aigus des sopranos qui viennent contrebalancer ces profondeurs terrestres (pour les Chants d'un compagnon errant de Mahler qui s’achèvent par ailleurs dans une extrême solennité, quoique teintée d’une longue mélancolie). Friede auf der Erde de Schönberg clôt le concert dans un embrasement magistral, parfois trop brutal et monolithique, en appelant à la Paix sur Terre.
S’évadant pour un temps du chœur, la soprano Perrine Devillers devient soliste à l’occasion de l’Ave Generosa de Hildegarde de Bingen, qu’elle reprend d’une voix nette, au timbre sombre et cuivré, dans un chant convaincu d’une constance et d’une rigueur imposant d’emblée une grande solennité, nuancée d’une vive émotion. De la même façon, Anaïs Bertrand explore d’une voix ronde et dotée de couleurs chaleureuses, quoiqu’un peu trop resserrée, l’extrait des Rückert-Lieder. Son chant, débordant de tendresse et d’humilité, est des plus émouvants et touche sensiblement le public. Les deux voix s’en vont et viennent pour se mêler à nouveau à celles de leurs partenaires de façon très fluide, sans aucune rupture et avec naturel.
À la tête de son ensemble, Raphaël Pichon propose une direction à la fois nette et enthousiaste, et, à en croire son sourire, le chef est manifestement emporté par la musique, à l’instar du public. Il alterne dynamiques et plénitude, insistant d’autant plus sur les dernières notes de chaque morceau, laissant se prolonger le silence immuable qui les suit, avant de laisser enfin les spectateurs applaudir – avec grand plaisir.
Pour finir, à l’occasion du bis, le chœur se lance dans une prière en ukrainien appelant à l’union entre les peuples, écrite par la compositrice elle-même ukrainienne Hanna Havrylets, décédée il y a peu. Là s’achève la soirée, les musiciens se retirent et le public vide l’église pour s’en retourner dans le dédale nocturne des rues parisiennes.