L’Enlèvement au Sérail à Marseille par l’Orient-Express
La mise en scène de Dieter Kaegi installe l'intrigue dans des wagons de train (cuisine, chambres, salle à manger) comme autant de huis-clos traduisant l'enfermement des personnages féminins de ce sérail. Francis O’Connor signe ces décors (devant des paysages en vidéos de cartes postales) et les costumes : plumages et ramages multicolores des dames, trois-pièces ou uniformes de cheminots des hommes.
Le jeu d’acteur est aussi dynamique que réaliste, provoquant même un certain malaise perceptible en salle durant les scènes évocatrices de violence ou de débauche.
Julien Dran incarne Belmonte, tout en finesse et en tendresse. Le timbre, à la clarté un peu froide au départ, trouve sa lumière dès lors qu’il retrouve sa Constance. Il use de sa longueur de souffle pour polir ses médiums soyeux et ses aigus mezza-voce, expirés à fleur de peau. Sa prononciation de l’allemand est travaillée dans le vif des consonnes les plus sonnantes, pour équilibrer une présence vocale parfois éthérée.
La Constance de Serenad Uyar est empreinte d’une noble sensualité. Sa longue tessiture oscille entre un suraigu filé de colorature et un medium gorgé d’opulente matière vocale, striée par un large vibrato, attaquant la note par le haut. Elle déclame avec expression de longs récitatifs tandis que sa ligne de chant s’affine avec émotion et pénètre dans les profondeurs de la fosse.
Osmin a la basse à la fois chantante et profonde de Patrick Bolleire, tout droit issu de la tradition bouffe. Ses mimiques font un effet irrésistible sur la salle, tandis que son grave le plus profond passe l’épreuve de la fosse, toujours synchrone avec l’orchestre.
Il forme avec le Pedrillo de Loïc Félix, très à l’aise dans ce rôle, un couple de Commedia dell'Arte. L'agilité et la suavité du timbre de son instrument épousent avec latinité la langue de Goethe, tandis que son jeu scénique relève de la performance : couteau-suisse dramatique, il a toujours un ustensile à la main, depuis le shaker jusqu’à l’échelle.
Sa Blonde, l’étincelante Amélie Robins, lui donne la réplique tout autant qu’à Osmin. Son instrument aiguisé et sa mise ajustée sont infusés des vocalises qui éclaboussent jusqu’au suraigu les convenances et les contraintes vocales et sociales.
Le plateau et la fosse totalement investis sont dirigés par Paolo Arrivabeni, qui garde la dynamique rythmique et ne perd pas le fil du tempo. La gestique est à la fois franche et nerveuse, orientée verticalement avec des tempi bien mesurés qui donnent leurs places à chacun. La phalange marseillaise réunit les couleurs de l’Orient et de l’Occident, percussions et cuivres en tête, en contraste avec la petite forêt des cordes, et les fusées de gammes de la petite harmonie.
Les chœurs, peu sollicités dans ce drame de l’intimité, parviennent à se fondre dans l’action musicale et scénique (tel un ensemble de solistes, finement individualisés aussi par leurs costumes et leur dissémination délicate sur le plateau).
Le voyage, ainsi offert à cette "porte de l’Orient" que sont Marseille et cet opéra, est applaudi avec joie par le public.