Douceur et mélancolie avec Kaufmann et Damrau à la Philharmonie de Paris
Après une collaboration sur les Lieder "italiens" d'Hugo Wolf en 2018, le duo allemand formé par Diana Damrau et Jonas Kaufmann renoue sa complicité artistique, autour de son répertoire national piano-voix, cette fois avec Robert Schumann et Brahms (dans le cadre d'une mini-tournée européenne qui fait comme auparavant une étape parisienne à la Philharmonie). Le programme réunit des Lieder de divers recueils, mettant en valeur les grands thèmes romantiques, tels que l'amour, la nuit, la nature, la langueur, mais aussi la détresse qu'une âme sensible et poétique éprouve. Deux grands compositeurs, maîtres du genre, qui sont aussi réunis par leur amour (inconditionnel) pour Clara Schumann née Wieck, à laquelle est dédiée une grande part de ces mélodies emplies de douceur et de mélancolie.
Jonas Kaufmann présente ce soir une ligne vocale immaculée et chaleureuse, adossée à une prononciation naturelle et soignée jusqu'à l'excellence (rendant justice tant aux compositeurs qu'aux poètes). Le phrasé baigne dans la douceur et l'élégance, soutenu par une émission dosée mais suffisamment ample pour pleinement combler cet espace acoustique hautement résonnant. Par moments, il bascule vers le chant poitriné, plus volumineux et dramatique, comme dans Stille Tränen (Larmes silencieuses), où il noircit les aigus en les immergeant dans le ton mélancolique de la soirée. Si les cimes robustes sont légèrement serrées et poussées, les notes piano représentent un sommet de suavité et de maîtrise technique qui émeut l'auditeur In Waldeseinsamkeit (Dans la solitude de la forêt).
Après une première partie plutôt soliste (et entrecoupée par des sonneries de téléphone qui pourtant ne déstabilisent pas les deux vedettes), la seconde moitié du concert est majoritairement consacrée aux mélodies en duo. Les deux voix contrastées s'alignent harmonieusement, alliant d'un côté le timbre sombre et les graves charnus de Kaufmann, avec de l'autre la tendre luminosité de Diana Damrau. Sa voix volatile et élastique tisse délicieusement les phrases mélodieuses qui naviguent entre les sentiments de sérénité et de trouble. La douceur des sections chantées piano et la finesse de la projection plongent le public dans l'intimité du genre qu'elle maîtrise assurément. Sa prosodie transparente et nettement articulée accomplit la fusion lyrique (totale) des composantes musicales et poétiques, avec une ligne solide sur la justesse et posée sur des aigus solaires qui vibrent plus (ou moins) intensément. Ces instants mélodramatiques enrichissent le cours de son chant polychrome, mais ramènent rapidement vers des eaux plus lyriques et caressantes.
C'est la première fois que je vois un récital où chacun des deux chanteurs reste sur scène pendant que l'autre chante. Ils alternent un Lied après l'autre, ce qui permet de ne pas installer de monotonie. pic.twitter.com/2LOEXGYJmZ
— Paris Opera and Ballet News : l'actu des opéras (@operanimal) 3 avril 2022
Grand maître du Lied, professeur et collaborateur de longue date des deux solistes, Helmut Deutsch fait une nouvelle fois la démonstration de son autorité artistique dans son genre de prédilection. L'accompagnement qu'il offre est égal et souverain, sa dentelle sonore délicatement brodée faisant corps avec les parties vocales. L'usage de la pédale tend parfois à embrumer quelques passages solo, mais renforce aussi la profondeur du caractère romantique des chants présentés.
L'alchimie vocale du duo et musicale du trio se traduit par de petits jeux scéniques qui font (sou)rire aussi bien les artistes que le public. La soirée est couronnée par deux bis offerts à l'auditoire qui rend en échange aux artistes des fleurs, des cadeaux, ainsi que de longs et bruyants applaudissements.