Prière pour la paix dans la Saison musicale des Invalides
Les deux formations musicales militaires emblématiques sont ici réunies, en ce lieu et par ce programme artistique voués à les mettre à l'honneur. Le lien entre les musiques et les lieux est ainsi évident et très vaste : les phalanges dédiant un programme spirituel à la paix dans cette Cathédrale Saint-Louis des Invalides, au fil d'un concert qui résonne avec l'exposition "Photographies en guerre" que nous vous présentons en grand format. Ce concert d'œuvres composées en temps de guerre et durant lequel résonnera le Chant des Partisans trouve aussi un "bien sinistre et bouleversant écho" avec la situation actuelle sur le front de l'Est comme le souligne Christine Dana-Helfrich, Conservateur en chef du patrimoine et chef de la Mission musique auprès du Musée de l'Armée, en présentant cette soirée.
Le Chœur de l'Armée française dirigé par Aurore Tillac interprète la première partie du concert, qui a toutefois la richesse et la cohérence d'un programme à part entière. La guerre et ses accents terribles sont certes ici bien présents par l'intensité des partitions et du chant de ces voix masculines, mais le programme présente surtout une image pacifique du conflit : une aspiration à la paix grâce au révélateur quasi-photographique qu'est la spiritualité des textes et la richesse des harmonies musicales. Il en est ainsi des Motets de Maurice Thiriet composés en captivité dans un stalag allemand et de Priez pour paix composé par Francis Poulenc sur un texte de Charles d'Orléans, prince renommé pour son œuvre poétique écrit en captivité durant la Guerre de Cent Ans. De Poulenc sont aussi chantées les Quatre petites prières de Saint François d'Assise composées trois ans après la Seconde Guerre Mondiale qui confirma le besoin de spiritualité ressenti par le compositeur trois ans avant le conflit (le Psaume 121 traduit par Paul Claudel et mis en musique par Darius Milhaud complétant les sources d'inspirations croisées entre guerre et religion). Enfin et bien entendu, l'adéquation à ces lieux rendant hommage aux soldats, par la voix de leurs lointains collègues redevables, est incontournable avec la "Prière pour nous autres charnels" écrite par Charles Péguy (Mort pour la France en 1914) mise en musique par Jehan Alain (Mort pour la France en 1940).
Le baryton solo Jérémie Delvert s'y transmute en Evangéliste à la française (avec des "r" très roulés, une articulation ample, noble et sombre), par sa voix vigoureuse mais tendue dans l'aigu et les nuances fortes.
Le ténor solo très articulé Alexandre Nervet-Palma d'abord ému et un peu tremblant se fait bientôt vibrant par un grave assuré et un médium-aigu claironnant.
Le Chœur peut en fait s'appuyer, comme il sied pour une phalange militaire, sur de riches individualités toutes mises au service du collectif par la coordination et la justesse constante de l'accord. Les timbres sont très caractérisés mais pour d'autant mieux s'unir par leur vigueur et noblesse d'articulation : chaque consonne est un pas cadencé au service du régiment. Leur cheffe Aurore Tillac obtient cette évidente richesse par sa direction aussi généreuse que précise, articulant chaque parole de la bouche, chaque phrase des mains et chaque intention du regard. La lieutenante-colonelle dirige avec un diapason dans la main gauche, telle une minuscule baguette dessinant de fines volutes dans les airs, et lui faisant lever seulement un petit doigt à l'image de la délicatesse et précision de son travail. La main droite prend volontiers la même forme avec des doigts serrés et arrondis, mais elle s'ouvre aussi sur les coups éclatants illustrés par certains mots et certaines notes. Le pianiste Jean-Christian Le Coz accompagne certains morceaux avec délicatesse et précision.
La seconde partie du concert met à l'honneur l'Orchestre de la Garde Républicaine dirigé par Sébastien Billard. Jouant eux aussi en uniformes avec leurs grades, ils offrent également une grande précision rythmique permettant de saisir (sans avoir besoin de susciter l'émotion) la construction du poignant Adagio pour cordes de Barber. Vents et percussions entrent pour donner aux Images hongroises de Bartok des cavalcades dignes des dragons et des oiseaux qui sifflent même au pas. Jean-Pierre Bouchard joue non seulement du cor mais aussi de la scie musicale, offrant avec implication et application la sonorité extra-terrestre de cet instrument remplaçant ici le flexatone de la partition.
Enfin, le soliste David Lively, revient au Concerto pour piano de Khatchatourian qu'il joua dès l'âge de 14 ans mais ne jouait plus depuis longtemps (qu'il re-joue néanmoins entièrement par cœur, et sur le bout des doigts). Le pianiste chante et danse (nécessairement) ces rythmes avec à la fois souplesse et application mais comptant plus que ne s'élançant dans cette grande fresque évoquant aussi des improvisations jazz (mais scrupuleusement écrites, et rendues).
Avant de revenir dans le prochain concert de ce cycle musico-photographique : "Le blues de Ravel" en duo avec la violoniste Elsa Grether, David Lively offre en bis la Toccata de Prokofiev, à elle seule un résumé de la virtuosité mise par le pianiste au service de l'expression et de l'impact du programme. Celle d'une œuvre marquetée comme par la mitraille d'un appareil photo ou d'une machine de guerre, pour un compositeur à la fois glorifié et persécuté par la Russie de son temps.