Cosi fan tutte à Caen entre second degré et onirisme
Le Théâtre de Caen a beau disposer de l’un des budgets les plus restreints de France, il parvient, par la magie des coproductions, à présenter à son public une production des plus prestigieuses. C’est le cas de ce Cosi fan tutte mené par des artistes parmi les plus renommés en France (et rayonnant au-delà) dans leurs domaines respectifs : Laurent Pelly à la mise en scène, Emmanuelle Haïm à la direction musicale et la fine fleur du chant français sur le plateau.
Les solistes engagés, d’une qualité très homogène, partagent de nombreux points communs : un chant soigné et bien projeté, un style travaillé, un jeu scénique abouti, ravivant à la fois les passages comiques et dramatiques de l’œuvre. Dans le détail, Gaëlle Arquez est une Dorabella sensuelle, aux graves chauds et suaves, aux médiums souples et onctueux, aux aigus soyeux. Elle donne à son personnage un chant et une interprétation scénique nuancés. Vannina Santoni interprète Fiordiligi avec son habituelle intensité théâtrale, se traduisant dans la densité de son vibrato qui porte une voix au timbre pur, notamment dans ses aigus exaltés. Les graves sont plus rauques, puisant leur source dans la poitrine. Sa diction tranchante s’exprime également dans des vocalises aiguisées, bien maîtrisées.
Cyrille Dubois prête au personnage de Ferrando sa voix claire et sucrée, dont la douceur de timbre reste homogène quel que soit le registre. Surtout, sa ligne de chant est délicatement ciselée, assise sur un souffle nourri, avec beaucoup de musicalité. De très légers éraillements apparaissent dans le dernier tiers de la soirée, trahissant sans doute une indisposition passagère bien qu’aucune annonce n’ait été faite. Florian Sempey campe un Guglielmo bonhomme, à l’émission vocale aisée. Ses graves sombres offrent de belles harmoniques en voix pleine, même si les notes les plus profondes tendent à se perdre.
L'interprétation vocale et scénique de Laurent Naouri (Don Alfonso) est investie et imprégnée des intentions du personnage : il ne s'économise pas pour faire vivre ce philosophe désabusé, aux postures rappelant parfois Louis de Funès. Sa voix lumineuse est très couverte, l’effet vocal le portant parfois au bord de l’engorgement. Laurène Paterno façonne une Despina bourrue, mais à la voix nacrée, d’une beauté froide. Ses lignes de chant sont énergiques et expressives.
Emmanuelle Haïm dirige son Concert d'Astrée en spécialiste de ce répertoire : l’interprétation est à la fois vive et alerte, mais avec du corps et des accents sincères dans les parties plus mélancoliques. Le Chœur Unikanti se montre très en place et offre un son riche et plein lors de ses rares interventions.
Laurent Pelly place l’action dans un studio dans lequel des artistes enregistrent Cosi fan tutte. Avec beaucoup de second degré, les artistes moquent les tics et manies des chanteurs (la main sur l'oreille, les jeux avec les pupitres et les partitions, etc.). Puis, sans que le spectateur ne comprenne vraiment comment ni pourquoi, la fiction prend le pas sur le réel et l’intrigue se joue entre les chanteurs eux-mêmes. Comme dans un rêve, les murs du studio se déplacent pour enfermer les personnages ou les plonger dans de nouveaux espaces, tandis que des micros descendent des cintres, inutiles (les ingénieurs sons ont déserté leur cabine) et inutilisés, comme des réminiscences du réel émaillant le songe. La patte de Laurent Pelly s’exprime dans sa direction d'acteurs précise, et notamment à travers un certain onirisme et son esthétique chorégraphiée, porteuse d’effets comiques.
Après un ultime rebondissement, le rideau tombe et le public salue avec enthousiasme l’ensemble des artistes, louant même leur qualité jusqu’aux portes du théâtre. Si cette performance avait réellement été captée, nul doute qu’il en résulterait un enregistrement de choix.