Eden de Joyce DiDonato au Konzerthaus de Vienne
Joyce DiDonato se présente au Konzerthaus de Vienne dans le cadre du programme « Great Voices » (qui réunit des artistes comme Nadine Sierra, Andreas Schager ou encore Günther Groissböck) et à l'occasion de la promotion mondiale de son nouvel enregistrement Eden. Celui-ci se base sur la question fondamentale : « Dans ce temps inquiet, quelles graines voulez-vous semer ? ». Le répertoire choisi réunit les thématiques de l'inquiétude, de l'espoir et de la création, faisant alterner les moments de lamentation et de méditation. Charles Ives côtoie Rachel Portman, Aaron Copeland, Josef Mysliveček, Gluck, Händel et Mahler. La disposition scénique de Marie Lambert-Le Bihan installe, au centre, des cercles comme symboles du cycle de la création, couplés avec l'éclairage festif et thématique de John Torres afin de concrétiser l'ambiance du monde onirique : ce rêve du Paradis au cœur de la mission artistique personnelle de DiDonato dans Eden.
Un rêve du Paradis dans un monde inquiet
Le timbre caractéristique, velouté et dans un même temps dense de la mezzo-soprano américaine, se reconnaît tout au long du concert, tout comme l'élégance et la maîtrise qui le couronne. La voix est mise en scène comme émergeant du silence et de la mer sonore, par les fragments vocaux dans The Unanswered Question de Charles Ives qu'elle chante depuis le fond de la salle. Le registre médian, où repose principalement la mélodicité du chant, est tantôt caressant, tantôt mélodieux et rêveur. Le registre bas est bien campé pour capter la méditation et la transition vers le songe. Le registre haut et les montées sont virtuoses et imposants, mais également capables d'une évaporation tendre en filigrane. L'aria de Fulvia dans l'opéra Ezio de Gluck "Misera, dove son'..." (Misère, où sont-ils ?) est un témoignage concret de la virtuosité vocale de DiDonato, et coïncide d'ailleurs avec son répertoire de prédilection. Le caractère velouté du timbre y atteint le sommet de sa puissance dramatique, incarnant sans hésiter les états d'âme de Fulvia désespérée et tourmentée, mais aussi fière. Les transitions aisées et puissantes entre les registres sont entièrement mises au service de la capacité dramatique de la voix, et résonnent pleinement avec les moments les plus intenses de la mise en scène des émotions, qu'elle capture également par toute sa gestuelle.
La direction musicale de Maxim Emelyanychev, fondateur et directeur d'Il Pomo d'Oro valorise la netteté des textures des instruments, avec un grand soin pour l'intention dramatique de la masse sonore. Sa maîtrise et celle de ses musiciens sont claires et déterminées en accompagnement comme en musique instrumentale.
Mais le concert n'est pas terminé, même après un bis. Joyce DiDonato présente son projet personnel aux spectateurs : celui de semer les graines de la beauté et du paradis. Elle invite également le chœur d'enfants "Superar" (dont la mission principale est de rendre le chant accessible aux moins privilégiés) pour interpréter deux pièces originales, l'une sur le chant des arbres, l'autre sur un refrain d'Ombra mai fu.
Plus encore qu'une mission artistique personnelle, la soirée est un testament à la puissance de la musique et à la beauté de la voix que l'artiste défend comme un outil pour guérir le monde. « Je crois que le contraire de la guerre, ce n'est pas la paix, mais plutôt la création, dit-elle au public, puis aux enfants qui l'entourent : Votre voix est puissante. Vous êtes puissants. Lorsque vous chantez, vous créez. Quand vous créez, cela guérit le monde. » À la sortie, les spectateurs sont invités à prendre des graines d'une flore native de l'Autriche et à les planter à la maison.