Matthias Goerne valse avec Wagner au Théâtre des Champs-Élysées
Le baryton Matthias Goerne creuse et déploie toujours plus deux caractéristiques frappantes de son interprétation, l'une vocale, l'autre corporelle (les deux liées entre elles). Son chant est de plus en plus sombre dans les graves (au point de se fondre ou confondre avec les profondeurs de l'orchestre et de perdre alors la prosodie allemande qui fait pourtant de lui une référence actuelle du Lied). Mais, le baryton se balançant toujours davantage, d'un côté et de l'autre, et même s'élançant toujours plus, de bas en haut, ce mouvement corporel accompagne des surgissements vocaux vers le médium très vibré (et même vers un aigu s'approchant de la voix mixte soulevée). Le balancement marin, s'il noie donc un peu les profondeurs vocales, est surtout une vague sonore surnageant très aisément par-dessus l'orchestre et emportant l'auditoire dans un roulis fascinant.
Ce mouvement s'accentue ainsi chez Matthias Goerne en récital avec orchestre, et le balancement au service des Wesendonck Lieder (cycle préparatoire à Tristan et Isolde) rappelle immanquablement la prestation du baryton dans cet opéra-même, à Bastille, où son balancier de récital représentait le navire absent de la mise en scène (en faisant fi de l'immobilité demandée aux personnages).
L'Orchestre National de France peut ainsi non seulement accompagner Matthias Goerne, mais suivre son mouvement tout comme les instrumentistes suivent l'énergique précision de Cristian Măcelaru (le chef et le baryton saluent d'ailleurs à égalité, le public et les musiciens, le chef veillant à attendre avant de monter au podium et à en descendre promptement pour saluer côte-à-côte avec le chanteur). De fait, quoique les Wesendonck Lieder (et la présence de Matthias Goerne) n'occupent qu'un quart du programme, le reste de la soirée, symphonique, s'inspire pleinement de ces élans esthétiques. Cela étant, l'Orchestre peine lui aussi à réunir les différents registres et à transmettre les thèmes et motifs à travers différents pupitres.
L'intensité instrumentale sait néanmoins elle aussi se mettre au service des différents visages du Romantisme que complète le programme de la soirée : les trois autres opus, trois œuvres de jeunesse de trois compositeurs, marquent (les) trois temps du romantisme, depuis la Symphonie n° 4 "Tragique" de Schubert encore imprégnée de racines classiques, jusqu'à la Passacaille de Webern (son premier opus, signant d'emblée une entrée dans la modernité avec une forme et une danse des plus formelles), en passant par la Sérénade pour instruments à vent de Strauss.
Si Wagner et Strauss forment le cœur du programme sur le plan historico-esthétique, cette Sérénade pour instruments à vent ouvre la soirée, comme en miroir avec toutes ces Métamorphoses de Richard Strauss jouées en temps de confinement : cette œuvre-ci pour 23 instruments à cordes permettait, alors, à tous les musiciens de rester masqués. La Sérénade pour 13 instruments à vent tourne donc aussi une page symbolique, dont les spectateurs profitent désormais, sans pass ni masque.
Le public applaudit très chaleureusement ce programme Romantique Germanique et rappelle à plusieurs reprises les artistes.